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Le Pacha, ma mère et moi de Nevine Gerits

Publié le 27/03/2023 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Présenté au festival Millenium, ce documentaire passionnant explore le dialogue entre la réalisatrice et Pervine, sa mère kurde, exilée et activiste au quotidien pour la cause de son peuple. Filmée sur plusieurs années, cette conversation va permettre d'interroger les notions de transmission, d'héritage et d'archives, entre histoire familiale et grande Histoire.

Le Pacha, ma mère et moi de Nevine Gerits

La très belle introduction animée revient sur une légende kurde, celle du Newroz, le nouvel an, et fait le récit de la création du drapeau kurde, frappé d'un soleil à vingt et une branches. Ce drapeau est le symbole d'un peuple en manque de pays et d'État et traduit la souffrance historique du peuple kurde, trahi, oppressé, exilé et qui cherche encore aujourd'hui à se constituer en nation.

Le film mêle des images d'archives, notamment sur le terrible massacre à l'arme chimique de Halabja mené par les forces irakiennes de Saddam Hussein en 1988 ou sur l'exode de plus de deux millions de Kurdes après la fin de la première guerre du Golfe en 1991. Le long métrage suit aussi la réalité quotidienne de Pervine et de son mari, un Belge également très investi dans la cause. L'obsession de Pervine est de ne pas oublier, d'enregistrer le plus possible par écrit afin de laisser des traces et de pouvoir les transmettre aux générations futures. La question des archives est évidemment centrale dans sa volonté de classer, de conserver le plus possible d'informations concernant l'identité kurde. Le lien est constant entre passé et présent et interroge la poursuite et la continuation de la lutte des anciens. Ambassadrice de son peuple, Pervine ne cesse de donner des explications, avec cette volonté farouche de perpétuer et de rendre vivante la singularité de la culture kurde, notamment la musique et les chants traditionnels dont elle éclaire les subtilités et les nuances. Au sein de cette famille, il s'agit aussi de passation de savoirs et de compétences. La réalisatrice et sa soeur sont sollicitées par leur mère pour reprendre la mise en page du bulletin d'informations. Cette demande questionne leur engagement, vu qu'elles sont nées en Belgique, que leurs langues maternelles sont le français et le néerlandais et qu'elles sont assez éloignées des intérêts de leur mère.

Le montage laisse également une grande place à la lecture en voix-off des lettres écrites par le père de Perine à sa fille à propos de son mariage. Refusant que sa fille épouse un non Kurde qui amènerait la honte sur la famille, il relate la grandeur et les luttes du peuple kurde. Issu d'une noble famille kurde, ce père héroïque permet de faire le lien avec le pacha du titre. Perine serait en effet une descendante de Ahmed Djemal  connu sous le nom de Djemal Pacha, l'un des trois pachas qui dirigèrent l'Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale. La lecture de ces lettres rappelle l'héritage parfois pesant et exclusif dont Pervine est désormais la continuatrice, même si cela a pu créer une distance entre elle et ses enfants. Car en filigrane, apparaissent les reproches de la réalisatrice envers cette mère qui a souvent privilégié sa militance. Leur dialogue riche et profond permettra à chacune d'évaluer sa relation à l'autre pour favoriser une forme de réconciliation et d'apaisement.

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