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Le Tigre et le président de Jean-Marc Peyrefitte

Publié le 19/09/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La Chute du président

Le bref mandat (sept mois seulement) de Paul Deschanel (Jacques Gamblin) à la tête de la IIIe République, en 1920, n’a laissé pratiquement aucune trace dans l’Histoire française. Principalement connu pour un événement insolite (sa chute d’un train lors d’un déplacement officiel), le subreptice président a disparu depuis longtemps des mémoires collectives. Pourtant, en 1920, à 65 ans, il avait ravi une victoire annoncée au « Tigre » Georges Clémenceau (André Dussolier), une des personnalités préférées des Français, grand héros de la Première Guerre mondiale, qui vécut très mal l’humiliation d’avoir été évincé à la tête de l’Etat au profit d’un « tocard ». La disparition du président pendant 24 heures va être l’occasion pour le « Tigre » d’avancer ses pions sur l’échiquier politique.

 

Le Tigre et le président

 

Un job inerte ! C’est là l’image véhiculée dans les hautes sphères politiques sur la fonction présidentielle. Un préjugé que Deschanel va s’empresser de contredire. Homme de lettres et pacifiste convaincu, il se met au travail dès son arrivée à l’Elysée, prônant des avancées humanistes inconcevables pour son rival, adepte du status quo, qui les juge saugrenues : instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct, mise en place du vote des femmes, abolition de la peine de mort, fin du colonialisme, inscription de l’interdiction de la guerre dans la Constitution… Des idées qui donnent des aigreurs d’estomac à Clémenceau, en retraite forcée à la campagne. Le train-train de la fonction officielle va toutefois mettre un frein aux beaux projets de Deschanel : en effet, à l’époque, le chef d’Etat passait le plus clair de son temps à « inaugurer les chrysanthèmes », passant sans répit d’une remise de médaille à l’inauguration d’un monument aux morts, sans avoir accompli la moindre chose tangible à la fin de la semaine. Un Don Quichotte n’a, semble-t-il, pas sa place au sommet de l’Etat, encore moins quand il est atteint de graves troubles anxio-dépressifs. Surmédicamenté, le Président perd peu à peu pied entre ses ambitions de réformer la France en profondeur et des troubles mentaux exacerbés par les coups bas. Alors qu’il s’acharne jour et nuit à écrire et réécrire un discours « historique », son rival ricane et manigance en coulisses, en attendant son heure, à l'affût de la moindre erreur de ce président bien trop fragile et fantasque.

 

Le Tigre et le président

Premier film de Jean-Marc Peyrefitte, Le Tigre et le Président se charge – avec une bonne dose de licence artistique - de réhabiliter Paul Deschanel, non pas sous la forme d’un biopic destiné aux César, mais sous celle d’une farce poétique à l’humour bon enfant. L’occasion d’un duel au sommet entre deux acteurs qui s’en donnent à cœur joie : Gamblin, maladroit et lunaire, et Dussolier, cabotin, grand enfant capricieux qui pique des crises quand il n’obtient pas ce qu’il désire. Tous deux sont irrésistibles et leurs joutes verbales savoureuses. Pour se faire une idée de leur confrontation, c’est simple : si le film avait été réalisé dans les années 60, Deschanel aurait pu être joué par Bourvil et Clémenceau par De Funès (ce jeu marche aussi avec le duo Richard / Depardieu dans les années 80…) C’est frappant, notamment lors d’une scène hilarante où les deux hommes tentent de se complimenter l’un l’autre en comparant la qualité de leurs moustaches respectives.

 

Le Tigre et le président

Peyrefitte fait la part belle à une idée très simple : que se passerait-il si un homme ordinaire, mais très en avance sur son temps, se retrouvait à la tête de la nation ? Et si sa modernité et son idéalisme étaient tout simplement incompatibles avec l’exercice du pouvoir ? Derrière son ton enjoué et sa facture modeste de comédie destinée au grand public, ce petit film attachant fait néanmoins le constat amer, désenchanté et finalement très cruel d’une arène politique qui, 100 ans plus tard, n’a pas bougé d’un pouce.

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