Leni, la vie après la mort d' André Dartevelle
Le long métrage que consacre André Dartevelle à un des épisodes tragiques de La Bataille des Ardennes n'aurait pu être qu'un documentaire de plus sur l'un des épisodes sanglants et héroïques de la deuxième guerre mondiale. Il n'en est rien. André Dartevelle n'est pas seulement un cinéaste de la mémoire - et, c'est important dans une époque qui semble vivre dans un présent perpétuel - mais explore le refoulé de l'histoire. Historien de profession, Cinéaste par passion, psychanalyste à l'occasion, Dartevelle explore le refoulé d'une société (Chômeur, pas chien, Tableaux dans un grenier, l'Affaire Willy Kessels). Dans Leni, la vie après la mort, en donnant la parole, et en faisant accoucher (au sens socratique du terme ou psychanalytique) le traumatisme des victimes survivantes des massacres de la dernière contre-offensive allemande menée en Ardenne, en décembre 1944. Arrêtés dans leur progression, les Américains se replient sur Bastogne et refusent de se rendre. Les Allemands répandent la terreur, qui est le fondement même de leur idéologie, en massacrant les populations des environs. Les rescapés vont être écrasés par les bombes américaines censées dégager les « boys » et qui manquent singulièrement de précisions. Silence des victimes. Et pour cause, elles sont mortes. Sauf quelques rescapés qui, miraculeusement survivent, pour la plupart des enfants.
André Dartevelle leur donne la parole, soixante ans après les faits. Pas une parole convenue qui est celle qu'ils ont ritualisée socialement pour oublier et survivre mais leur vécu de l'époque, le traumatisme sur lequel s'est bâti leur vie. Ce film anti-spectaculaire au possible s'installe dans une durée nous permettant de mieux comprendre la souffrance des victimes de la guerre. Le film bascule quasi dans l'indicible. Pour Monique c'est la perte de sa mère grâce à qui elle est toujours vivante, celle-ci ayant fait rempart de son corps, qui est insupportable car elle ne peut même pas s'appuyer sur des souvenirs communs pour faire son deuil. Pour Marcelle c'est la disparition de Leni, une petite fille qui la maternait, qui reste douloureux mais qui, le film aidant, la remet en mouvement pour chercher Leni. Et si elle avait survécu ? Inutile de dire qu'en bon historien, André Dartevelle utilise des archives d'époque pour faire comprendre pourquoi la rage des nazis s'exerce avec une telle violence dans cette bataille des Ardennes qui est leur chant du cygne. Archives mises en perspective par la voix off du réalisateur, des documents de l'époque. Les images de guerre étant rarement innocentes. Ce qui l'est, par contre ce sont les films en Super 8. Notamment une superbe scène, filmée en 1940, par le curé d'un village, d'une bande d'enfants jouant au traîneau. Moment magique qui fait penser aux plans de Vigo ou Truffaut. Images qui servent de contrepoint narratif aux récits des enfants survivants. Un film qui carbure au noyau dur de la mémoire et de l'amnésie qui, derrière les dates anniversaires qui suscitent des cérémonies commémoratives, explore le vécu des victimes qu'il célèbre. Occulter le passé c'est le faire rebondir là où on s'y attend le moins.