Dans le cinéma belge comme ailleurs, les histoires se réécrivent, mais ne se ressemblent pas. Avec Les Gentils, Olivier et Yves Ringer, le duo derrière Pom le poulain, À pas de loup et Les Oiseaux de passage nous livrent leur vision du film de braquage à la belge, une comédie sociale douce et espiègle au croisement du cinéma de Ken Loach et de Steven Soderbergh.
Les Gentils de Olivier et Yves Ringer
Renaud Rutten incarne ici Michel, un patron de PME dont l’entreprise sombre inexorablement, malgré ses tentatives plus ou moins légales de la préserver. Un filou? Pas vraiment. Plutôt un patron à l’ancienne, pour qui le bien-être de ses employés - qu’il voit comme sa petite famille - compte plus que sa propre existence. Un vrai gentil, désintéressé et bienveillant, à qui le système et la mondialisation ne font pas de cadeaux. Alors que Michel et son épouse Blandine sont en train de tout perdre, cette gentillesse leur sera rendue par Florent (Achille Ridolfi), comptable de l’entreprise, et par Bruno (Tom Audenaert), soudeur bourru et ouvrier de l’entreprise, bourru, mais avec un cœur gros comme ça. Ensemble, après maints efforts honnêtes cassés par les institutions bancaires ou juridiques, ils se résolvent à aller chercher la richesse à la source : dans la salle des coffres du mielleux banquier de Michel, brillamment incarné par Jean-Jacques Rausin.
Ce quatuor bigarré n’a, il faut l’avouer, pas le panache d’une bande de malfaiteurs à la Ocean’s Eleven. Et pour cause, c’est plutôt du côté de la “comédie sociale à l’anglaise” que penche Les Gentils. Pas de scènes d’action grandiloquentes au programme, mais plutôt un jeu tout en finesse de la part d’un casting de talent, et un scénario où les retournements se distillent au gré d’une narration bien ficelée. Et ce, dans un environnement qui nous rappelle s’il le fallait que Bruxelles n’est pas qu’une carte postale.
Derrière la caméra, les frères Ringer réussissent en effet à nous faire plonger dans l’intimité de Michel, Blandine, Bruno et Florent, quatre protagonistes à qui la vie n’a pas fait de cadeaux. En résultent des décors intimes et des moments de tendresse qui construisent de vrais personnages et non pas de simples archétypes, que la caméra capture avec douceur. À la lumière d’un réfrigérateur ouvert, les personnages craquent et révèlent toute l’étendue de leur humanité, écrasée par un monde capitaliste et où les flux économiques malmènent les existences. Manger, ou être mangé, que ce soit dans les bureaux de la banque ou sur les bancs des tribunaux. Et c’est plutôt des “mangés” dont il est question ici. Dans le rôle de Michel, Renaud Rutten met de côté son humour et se laisse aller à une fragilité qui lui va plutôt bien, autant qu’à ses acolytes. D’une part, Tom Audenaert en père qui se démène pour le bien de son fils rebelle ; de l’autre, Achille Ridolfi en fils bien trop gentil avec une mère qui ne le lui rend pas tout à fait.
Un trio de clowns tristes dont se gaussent policiers, juges comme banquiers, jusqu’à ce que les dindons de la farce se rebellent. Et c’est avec un sourire jubilatoire que l’on contemple les petites gens victimes de la mondialisation et du capitalisme renverser la vapeur, et se servir des travers du système qui les ont détruits pour retourner celui-ci à leur avantage.