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Les Hommes seuls, Yves Dorme, 2024

Publié le 06/09/2024 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

En 2023, ce sont trois mille demandeurs d’asile qui errent d’un squat à un autre, d’un trottoir à un autre, dans l’attente désespérée d’être pris en charge dans un centre d’accueil. De son côté, l’État belge s’astreint de ses obligations en matière de politique sociale et migratoire, les yeux mi-clos face à une crise de l’accueil qui ne fait que s’accentuer. Yves Dorme dresse un état des lieux glaçant de la situation actuelle, se mêlant à la foule des demandeurs d’asile, interrogeant les avocats qui traitent leurs dossiers, les autorités publiques, ainsi que les bénévoles et membres d’associations qui luttent pour le droit à la dignité humaine.

Les Hommes seuls, Yves Dorme, 2024

« Chacun se débrouille comme il peut ». C’est le constat dressé par Yves Dorme après avoir observé de près l’hygiène de vie des ses hommes seuls dans les rues de Bruxelles. Lorsqu’ils se rendent à l’Office des Étrangers pour obtenir leur droit à l’asile, les autorités savent déjà que les centres d’accueil sont saturés. La priorité étant donnée aux femmes et aux familles, ces hommes seuls sont alors priés d’attendre, et donc de se débrouiller par eux-mêmes pour se loger, se nourrir, se soigner. Face aux nuits glaciales de l’hiver, les squats deviennent des solutions de repli, mais trop vite investis par des trafiquants et des toxicomanes. La situation sanitaire se dégrade considérablement, de même que la sécurité de chacun. Certains se font voler leurs affaires et se retrouvent sans papiers. Après avoir investi d’énormes sommes pour la traversée vers l’Europe, la plupart se retrouvent sans argent, sans famille et sans espoir. 

Yves Dorme suit notamment le parcours de Raziq, un jeune afghan qui a cru, en arrivant à Bruxelles, qu’il aurait rapidement une vie normale. Traquée par les talibans, sa famille est complètement divisée et menacée de mort. Ayant refusé l’enrôlement, il a été contraint de fuir et de ne garder que de très occasionnels contacts avec sa famille. D’autres hommes sont dans la même situation que lui, et ce n’est qu’auprès d’eux que Raziq peut espérer trouver un soupçon de joie. Quant à la sérénité, il ne l’aura que s’il parvient à préserver sa santé et sa sécurité. 

L’enfer, nous explique Anabelle Locks, bénévole engagée auprès des demandeurs d’asile, c’est « la trahison », c’est d’« être chassé alors qu’on pensait être hébergé ». Refusant de prendre les mesures énoncées par la loi, les autorités se détournent de la situation, espèrent que ces gens disparaissent dans l’atmosphère, les privant d’eau, de nourriture, de couvertures. Des associations sont alors contraintes de contourner les décisions prises par les autorités pour secourir les demandeurs d’asile. C’est aussi un soutien social et psychologique que de nombreux·ses volontaires viennent leur apporter. Pour Marie Doutrepont, l’une des avocat·es qui défendent leur cause, c’est le système démocratique tout entier qui est remis en question, dès lors que les lois votées par le Parlement en matière d’obligation d’accueil sont bafouées. 

Au moyen d’une sobriété stylistique et d’une grande habileté narrative, Yves Dorme propose un documentaire saisissant, entièrement dévoué à son propos. Par une approche journalistique, il capture les événements en direct et parvient à mettre en évidence les enjeux géopolitiques contenus dans cette crise de l’accueil. Soulignons enfin la grande pudeur avec laquelle Yves Dorme défend la dignité humaine.

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