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Lost Memory de Zlatina Rousseva

Publié le 10/10/2020 par Bertrand Gevart / Catégorie: Critique

Depuis l’Allemagne jusqu’à la mer noire, la réalisatrice Zlatina Rousseva dresse le portrait de plusieurs musiciens à l’occasion d’un festival mystique dédié au Danube. Traversant pendant plusieurs jours le fleuve, la mémoire de l’Histoire ressurgit par miettes, dialoguant avec les images du présent.

Lost Memory de Zlatina Rousseva

Le film Lost Memory dépeint un voyage à travers les histoires personnelles de 29 musiciens issus du monde entier rejoignant l’Histoire collective. Réunis lors d’un festival dédié au fleuve, les musiciens expriment leur émotion à travers chaque instrument. Les témoignages face caméra de plusieurs musiciens laissent entrer les souvenirs intimes dans le film et conversent avec les images d’une autre historicité, d’un autre temps. La captation des différents concerts est en réalité un moyen subtil de questionner l’identité, en plus de se mouvoir ou d’écouter attentivement, elle est le prétexte vers une ouverture abyssale, celle de la grande Histoire. La musique semble imposer son rythme, guide l’image à travers le passé, juxtapose les temporalités. Finalement, elle est le moteur d’une réflexion sur l’humain, rassemblant au présent des personnes qui ont été en guerre dans le passé.

La réalisatrice donne la parole aux témoins de l’Histoire, fait émerger la post-mémoire, celle des enfants de la guerre où des événements traumatiques. De manière très construite, allant même parfois sur le terrain du mimétisme à l’égard des archives en noir et blanc, Zlatina Rousseva parvient à tisser des liens parfois ténus, tantôt profonds, entre le passé et le présent.

À partir des images tournées dans le présent, elle interroge les mêmes images du passé, faisant ressurgir les guerres, l’exil, la pauvreté. Cet « entre » de l’Histoire est mis en scène à la fois par le musicien-témoin et les archives qui cohabitent, s’entrechoquent, exposent et nuancent le propos. La musique est, dans ce documentaire, le pivot central de la réflexion qui permet de traverser des siècles différents, qui cimente et éveille la mémoire du fleuve.

Au fil du voyage sur l’eau, les souvenirs douloureux sont excavés et les images d’archives deviennent beaucoup plus sombres et violentes. Le film offre au regard des événements oubliés qui ont eu lieu sur les rives du Danube.

Zlatina Rousseva explore le passé à partir d’une frontière au présent et rassemble avec la musique différentes couches de souvenirs en écho avec les mémoires perdues, celles qui bordent le fleuve et dont la caméra tente inexorablement de filmer. Les multiples regards caméras des musiciens mais aussi des archives, sont autant de formes cinématographiques de l’Histoire (Antoine de Baecque), qui nous somment de ne pas oublier, qui placent l’Homme face aux images du siècle. Un film qui s’appuie sur la musique et glisse progressivement vers le discursif, faisant se confondre présent et passé.

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