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Louise Violet, de Eric Besnard - 2024

Publié le 13/11/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le chemin des écoliers

1889. En cette année de centenaire de la Révolution française, Louise Violet (Alexandra Lamy), qui sort d’une peine d’emprisonnement de dix ans pour avoir rejoint les rangs des communards, est missionnée dans un village de la campagne française, en Haute-Loire, pour y imposer l'école de la République (gratuite, laïque et obligatoire). Une mission qui ne la rend populaire ni auprès des enfants ni auprès de leurs parents dans cette région rurale où le travail des champs est la seule chose qui importe.

Louise Violet, de Eric Besnard - 2024

Difficile aujourd’hui d’imaginer une vie sans école, un concept encore totalement étranger aux paysans qui accueillent l’institutrice avec méfiance et hostilité. Consacrer du temps à des études n’a pour eux absolument aucun sens, puisque leur quotidien consiste - et se limite - à se briser le dos dans les champs. Les enfants participant dès leur plus jeune âge au travail harassant de leurs parents, les voir disparaître toute la journée pour aller s’asseoir sur un banc d’école – qui plus est une école dirigée par une femme – se traduirait par un manque à gagner et s’apparenterait à une sanction infligée par l’État. Pourquoi apprendre les mathématiques, la littérature ou une langue étrangère, pourquoi se soucier de ces lois votées à Paris lorsque l’on doit semer, labourer et récolter pour survivre ? S’il n’y avait dans ces régions aucune volonté d’instruction, de progrès, de modernité ou de justice sociale, si les mentalités étaient si étriquées et l’ambition aux abonnés absents, c’est aussi parce que la vie ne laissait pas le temps pour ça ! « Pour cette vie-là, on n’a pas besoin d’apprendre à lire ! »… Louise doit prendre son mal en patience et plaider sa cause en faisant la tournée des maisons, une famille après l’autre, pour expliquer le projet. Devant son manque de succès, l’école naîtra dans une grange boueuse et la première leçon n’aura lieu que des semaines après son arrivée. 

Alexandra Lamy incarne cette « ennemie » dont le caractère entier et le visage impavide cachent des fêlures profondes. Louise, en effet, se considère comme « déjà morte » depuis l’exécution de sa famille. Elle ne revient à la vie que lorsqu’elle peut exercer sa profession, faire naître chez ses élèves un minimum d’intérêt, une pointe de curiosité... On regrettera le jeu un peu figé de l’actrice, peu aidée par un commentaire en voix off encombrant. Nul doute qu’une actrice au jeu plus nuancé aurait apporté à cette figure tragique une profondeur supplémentaire. Ici, malheureusement, la dignité à toute épreuve de Louise semble artificielle… Ses meilleures scènes, Alexandra Lamy les partage avec Annie Mercier, impressionnante dans le rôle d’une paysanne âgée, élevée à la dure, la seule du village à faire preuve de bon sens. Quant à Grégory Gadebois, dans un registre qui lui est familier (il joue le maire bourru et colérique, mais au grand cœur), il est, comme toujours, formidable, même si ce rôle ne lui permet pas vraiment d’élargir sa palette. 

Nous avons affaire ici à du cinéma un peu poussiéreux, sans aspérités, parfait pour une diffusion télé le dimanche après-midi. Avec sa mise en image scolaire (c’est le cas de le dire !), Éric Besnard (Le Goût des Merveilles, Délicieux, Les Choses simples) ne transcende que rarement son sujet et signe un film à la narration attendue, sans surprises, mais néanmoins soignée et agréable à l’œil (les paysages sont superbes). Plaisant à défaut d’être inspiré, trop programmatique pour convaincre entièrement, Louise Violet a toutefois le mérite de nous plonger dans une époque charnière de l’Histoire de France, de poser la question du déterminisme social et du progrès imposé à grand renfort de lois « injustes », et surtout de nous faire découvrir la naissance dans la douleur d’une institution qui n’était alors encore rien d’autre qu’une idée folle.

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