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Lunes rousses de Tülin Özdemir

Publié le 09/04/2019 par Marine Bernard / Catégorie: Critique

Nous sommes sans cesse sur les traces de notre existence. Nous voulons comprendre d’où venons-nous, pourquoi sommes-nous attachés à certaines traditions, à certaines coutumes. Qu’est-ce qui façonne notre façon de penser ? Tülin Özdemir, jeune réalisatrice belge d’origine turque, articule son travail de réalisation autour de cette problématique. Partagée entre deux cultures, l’Occident chrétien et l’Orient musulman, elle souhaite comprendre ce qui, aujourd’hui, la relie à ses origines et ce qui l’en éloigne.

Lunes Rousses clôture une trilogie de documentaires sur la quête identitaire de femmes résidentes ou originaires d’Anatolie. Tülin Özdemir avait ouvert la voie de sa réflexion avec Notre mariage, un court-métrage réalisé en 2008 dans le cadre de son master en documentaire de création et anthropologie visuelle et l’avait poursuivi en 2013 avec Au-delà de l’Ararat.

Pour Lunes Rousses, la réalisatrice repart dans sa région d’origine, sur les steppes de l’Anatolie, afin d’y filmer sa famille et rendre visible le regard croisé de trois générations de femmes à propos du mariage. Le mariage arrangé est une institution socio-culturelle qui semble perdurer en Turquie de générations en générations et contre laquelle il est difficile de prétendre à une alternative, sans risquer une friction familiale.

D’un bout à l’autre du documentaire, la réalisatrice donne principalement la parole à sa tante Tüncay qui a quitté la vie qu’on lui avait tracée pour reprendre la vie qu’elle souhaitait avoir. En toute intimité, elle nous raconte la façon dont elle a vécu chaque étape de son mariage. Autour d’elle gravitent sa grande sœur, la mère de Tülin Özdemir, sa mère et sa fille qui alimentent son récit. Le fil conducteur du documentaire prend forme à partir d’une mosaïque de photographies qui interagissent avec une diversité d’échanges familiaux, d’errances solitaires, de danses et des chants issus du mariage de la nièce de Tüncay. Ces images fixes et mouvantes se tissent les unes aux autres et nous aident à comprendre le parcours de vie de chaque femme de la famille. Cette combinaison des photographies et des confessions filmées apporte une dynamique intéressante au documentaire et le rend particulièrement vivant. La réalisatrice préconise un rythme lent qu’elle ponctue parfois par des moments de silence. Cela invite au questionnement et est vraiment bénéfique pour la compréhension.

Alors que la plus grande partie du documentaire nous replonge dans les souvenirs bouleversants et saisissants de Tüncay, la dernière partie du documentaire est davantage centrée sur une jeune génération de femmes originaires de Turquie mais vivant en Belgique. Elles se prennent en photo, s’interrogent sur leur place au sein de la société actuelle et sur leur avenir en tant que femme. Elles portent un regard neuf sur l’histoire de leur culture.

Ce documentaire permet de se rendre compte de la différence entre le fait de vivre sa culture à l’étranger et celui de la suivre à la source, là où elle s’est construite. Bien qu’elle l’envisage comme une forme de contrôle social imposé par sa culture, Tülin Özdemir n’émet aucun jugement sur le mariage arrangé. Elle est partie de chez elle, cela a créé un cataclysme mais elle a décidé de tirer parti de cette rupture pour en comprendre tous les enjeux. A travers ce documentaire, elle ne souhaite en aucun cas dénoncer une pratique, une tradition. Au contraire, elle tente de comprendre la raison pour laquelle elle est si importante et perdure. Lunes Rousses est un film initiatique qui lui permet de reconsidérer son passé, de mieux s’approprier son présent, d’envisager un autre avenir et surtout, de se trouver une place à la jonction de ses deux cultures.

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