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Make it Look Real de Danial Shah, 2024

Publié le 17/01/2025 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le choc des photos

Pakistan. Dans sa boutique, le photographe (amateur) Muhammad Sakhi reçoit ses clients (majoritairement des hommes) pour leur tirer le portrait. Mais Muhammad n’est pas un photographe comme les autres, il est spécialisé dans les montages. Vous voulez être vu aux côtés d’une jolie fille ? Sur une grosse cylindrée ? Devant le paysage de votre choix (où vous ne mettrez vraisemblablement jamais les pieds) ? Portant la tenue de vos rêves ? Muhammad s’en charge ! Car depuis qu’il a installé Photoshop sur son ordinateur, son magasin ne désemplit pas !... Après avoir pris ses clients en photo, il « nettoie » leurs visages : il noircit les cheveux blancs, gomme les imperfections, enlève les points noirs disgracieux… Son mot d’ordre : « Que ça fasse vrai ! »

Make it Look Real de Danial Shah, 2024

Son ami Danial, le réalisateur du film, quant à lui, vit en Belgique depuis huit mois : après 16 ans d’études, il a obtenu un doctorat et travaille depuis des années en tant que photographe freelance pour de grands magazines. Les deux amis, que tout sépare, particulièrement l’état de leurs finances respectives, s’interviewent l’un l’autre, plaisantent, boivent du thé, échangent des platitudes, puis des réflexions plus profondes au cours desquelles ils comparent le coût de la vie dans leurs pays respectifs. La vie au Pakistan est de plus en plus chère et Muhammad gagne seulement entre 30 cents et un euro par photo. Un euro 70’ avec un cadre ! Il gagne en moyenne 10 euros par jour. Muhammad aimerait visiter la Belgique et y faire sa demande de citoyenneté, mais il envisage de le faire illégalement, via des passeurs, même s’il est conscient des dangers qui l’attendent. C’est en effet un voyage qui peut durer jusqu’à 8 mois, et c’est, selon toute probabilité, un aller sans retour.    

Occidentalisé depuis longtemps, Danial a du mal à comprendre cette « célébration du faux » réclamée par les visiteurs de la boutique. Il s’indigne des filtres utilisés par son ami pour blanchir leurs visages : pourquoi, en 2024, un visage blanc est-il toujours synonyme de pureté et de beauté alors qu’un visage basané n’est pas considéré comme suffisamment photogénique ? Alors que les clients défilent, se posent plusieurs questions amusantes. Pourquoi, par exemple, les hommes pakistanais tiennent-ils tant à être photographiés avec une Kalashnikov à la main ? Pourquoi affichent-ils ces montages grossiers, qui ne duperont personne, dans leurs salons ?... Danial filme l’absurdité de ces situations, notamment ce client qui choisit au hasard la photo d’un jeune modèle masculin anonyme, qu’il trouve très beau, et choisit de se faire ‘photoshopper’ à ses côtés… Ou encore le témoignage d’un homme qui veut ressembler à un Taliban, mais surtout pas être photographié avec une femme à ses côtés ! 

Au fil de la conversation se dessine la destinée d’un pays déchiré par la guerre, la violence et la misère : Muhammad a été témoin de l’explosion d’une bombe en 2013, lors des manifestations de Hazara Town. Plusieurs enfants sont décédés à quelques mètres de sa boutique, leurs corps évaporés dans l’explosion. Du microcosme au macrocosme, la petite boutique de Muhammad est la triste métaphore d’une société en péril, dans laquelle un simple montage photographique très sommaire est susceptible de mettre un peu de baume au cœur, de faire rêver.

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