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Martin Margiela : In His Own Words de Reiner Holzemer

Publié le 19/10/2020 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Portrait du très célèbre couturier belge Martin Margiela : In His Own Words se retrouve dans la sélection officielle du Brussels Art Film Festival qui se tiendra du 12 au 15 novembre. Documentaire sur l’art qui se conforme à toutes les règles en la matière (y compris la musique – même si elle est signée dEUS – omniprésente, les interviews face caméra, une chronologie faussement déroutante), le film du réalisateur allemand Reiner Holzemer est cependant bien ficelé et son intérêt tient surtout à ce que désigne son titre : les entretiens avec l’artiste, dont on ne verra jamais que les mains.

Le film commence à rebours, par le dernier défilé de Margiela, en 2009, avant qu’il ne se retire définitivement du monde de la mode, laissant sa maison aux mains d’une autre étoile montante, John Galiano. Seul et unique couturier à avoir quitter son travail du jour au lendemain, Margiela cultive un autre mystère d’une très grande originalité dans ce milieu : avoir voulu et tenu à l’anonymat en refusant toujours interviews comme photographies. Le film revient ensuite sur sa carrière qui se lance en 1989 pour en faire défiler le fil chronologique jusqu’à aujourd’hui. Pendant vingt ans, Margiela va multiplier les défis, provoquer l’admiration totale ou le mépris, et mettre en scène des défilés dans les endroits les plus originaux pour l’époque (un terrain vague dans le 20e arrondissement pour commencer avant d’aller dans des dépôts de meubles ou des parkings sous-terrains). Il marque ainsi à la fois son origine et son ambition : ramener ses créations dans l’univers urbain des années 90, ouverts à tous, modestes et loin des chuchotements feutrés des ambiances luxueuses. S’il est novateur, c’est aussi qu’il crée et invente des vêtements non seulement originaux et encore jamais vus mais qui se veulent aussi confortables et pratiques. Et il a cette magnifique définition du luxe : « l’alliance de la qualité au confort ».

Martin Margiela : In His Own Words de Reiner Holzemer

Reiner Holzemer signe un portrait tout ce qu’il y a de plus classique. Mais il a l’immense chance de disposer de nombreuses images d’archives qu’il tisse avec pas mal de maestria et surtout, de pouvoir s’entretenir avec le créateur lui-même dans ce qui désormais lui sert d’atelier. Martin Margiela se raconte à travers divers objets qu’il montre à la caméra ou sort, au fur et à mesure du film, de boîtes blanches soigneusement rangées. De lui, on n’entendra que la voix calme et posée, un peu triste peut-être. De lui, on ne verra que les mains, marquées par l’âge, devant la caméra (et une autre apparition, où on le devine à peine). Il sort des jouets, feuillette ses carnets d’enfant où il taillait des robes qu’il collait sur les silhouettes qu’il dessinait, des poupées barbies qu’il a gardées et avec lesquelles il s’amusait à inventer des tenues… Tout cet univers d’enfant qui joue est là, sous nos yeux, à la fois mélancolique et ludique. Il nous permet de comprendre la personnalité profonde de ce couturier hors du commun, tenu avant tout par le plaisir des mains, des gestes comme caresser une matière, couper et tailler, arranger un drapé… Et sans doute que c’est là aussi que se trouve l’origine et de sa volonté de rester anonyme et de son départ loin des spotlights. Comme il l’explique lui-même, se transformant au fil du temps, avec la venue des « brand managers » et d’internet, non plus en artisan mais en gestionnaire d’une marque soumis à des cadences délirantes. Alors, le mystère Margiela s’éclaire d’une autre lumière, non pas celle d’un coup de génie médiatique mais plutôt de l’humilité d’un créateur que la violence du monde frénétique de la mode aura usé mais qui aura préféré garder sa liberté intacte.

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