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Merckx, de Christophe Hermans et Boris Tilquin

Publié le 17/02/2025 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le gamin au vélo

Dès son premier championnat amateur remporté en 1964, mais surtout de 1967 à 1974, Eddy Merckx a tout gagné, tout dévoré, sans rien laisser à ses concurrents. En une décennie, il s’est imposé comme l’icône absolue du cyclisme mondial et est considéré, encore aujourd’hui, comme le plus grand coureur de tous les temps, ayant remporté cinq Tour de France (en 1969, 1970, 1971, 1972 et 1974) et 525 victoires en tout, ce qui en fait le coureur le plus titré de l’histoire du sport. Pourtant, à force de triompher, le « Cannibale » – surnom qu’il n’a jamais apprécié - avait fini par faire des jaloux, particulièrement en France. Comment continuer à pédaler quand l'admiration laisse place à la haine ? Ce documentaire pose la question et retrace ce parcours hors du commun.

Merckx, de Christophe Hermans et Boris Tilquin

Que ce soit le jeune prodige de 24 ans ou l’homme de 79 ans qu’il est aujourd’hui, Merckx a toujours été un homme de peu de mots. Humble, pudique, discret sur une vie privée tout ce qu’il y a de plus tranquille, le sportif a probablement rendu difficile la communication avec la presse par son caractère réservé, loin de la rock star du sport que les journalistes réclamaient. L’homme derrière le mythe est en fin de compte toujours resté une énigme. C’est un état de fait que ce film ne change pas : le Merckx de 2024 n’apparaît pas dans son propre film (composé uniquement d’archives) et les rares fois où on le voit se confier à des reporters, c’est en marmonnant, en mangeant ses mots, laissant plutôt son épouse, Claudine, parler pour lui.

Surfant sur la vague récente de documentaires sportifs à succès (consacrés à Ayrton Senna, Diego Maradona, Michael Schumacher ou Pelé…), Merckx énumère les événements les plus importants de la carrière du champion, dans l’ordre chronologique : les premières victoires ; le départ en Italie au sein de l’équipe Faema (1969), suivi d’un scandale de dopage au Giro d’Italia (on aurait versé un produit interdit dans sa boisson pour le disqualifier) ; la gloire mondiale et les Tour de France consécutifs (la partie la plus prenante du film, avec des images de courses très impressionnantes) ; la chute collective qui faillit lui coûter la vie et lui valut des douleurs dorsales qui perdureront pour le reste de sa carrière ; une année 1972 exceptionnelle (en plus de gagner le Tour, il bat le record de l’heure à Mexico) ; ses rivalités avec Luis Ocaña, puis Bernard Thévenet ; la chute au Tour 1975 qui lui vaut une mâchoire cassée et une première défaite ; les années difficiles (1975-1978) ; l’annonce de la fin de sa carrière en 1978… Ambassadeur belge aimé autant par les Flamands que les Wallons, Merckx arrivait à lui seul à faire oublier la querelle linguistique qui déchirait le pays. Avec ce héros appartenant aux deux communautés, le Belge redevient fier d’être belge ! La foule l’accueille comme un roi sur la Grand-Place de Bruxelles après sa première victoire au Tour…

Mais le film raconte également une face très sombre (et aujourd’hui quasiment oubliée) de la vie du champion, la rançon inattendue de la gloire. En France, dès 1970, la presse commence à en avoir assez de réécrire les mêmes histoires et espère trouver un nouveau champion, plébiscitant le plus charismatique Luis Ocaña. Mais rien n’y fait : Merckx reste imbattable et, rien qu’en 1972, il concourt dans 150 courses. Sa surmédiatisation devient alors problématique et une partie du public français banalise ses succès, déclarant le trouver prétentieux et égoïste parce qu’il ne laisse que des miettes à ses partenaires. Ils se lassent du « phénomène » Merckx au point de faire part à son égard d’une hostilité croissante. En 1975, cette situation culmine avec un coup de poing reçu au foie lors du Tour par un homme dans la foule, un lâche qui, bien sûr, niera les faits (malgré les images). Merckx n’est plus l’homme à battre, mais l’homme à abattre ! Ce chauvinisme puant, cette attitude déplorable du public français finiront par peser lourd sur le moral d’un champion qui voulait juste faire son métier, autrement dit : gagner !

Si ce film insiste sur le parcours exceptionnel d’un homme sérieux, obstiné, persévérant, tenace et doté d’une grande détermination, il montre également un homme mélancolique, peu à l’aise avec la foule et devant les caméras, incapable de contrôler, voire de comprendre son image, qui lui échappe. Ce faisant, ce documentaire (que nous avons néanmoins trouvé trop court) rend Eddy Merckx encore plus attachant…

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