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Mother de Teona Strugar Mitevska

Publié le 22/09/2025 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La Mère des larmes 

Calcutta, août 1948. Mère Teresa (Noomi Rapace) attend avec impatience la permission du Vatican de quitter son couvent et sa congrégation, les sœurs de Lorette, pour fonder son propre ordre, les Missionnaires de la Charité. Devant désigner celle qui lui succédera, elle choisit sa fidèle seconde, Sœur Agnieszka (Sylvia Hoeks). Mais lorsque celle-ci lui révèle qu’elle est enceinte et son souhait d’avorter, Teresa, choquée, vacille, partagée entre ses convictions profondes et l’amitié toute relative qu’elle porte à Agnieszka. C’est le début d’un duel psychologique entre la Mère au pied du mur et la Sœur dont la santé mentale s’effrite.  

Mother est au film Fest Gent du 14 au 18/10

Mother de Teona Strugar Mitevska

Avertissement de rigueur : ce n’est pas à un biopic traditionnel qu’il faut s’attendre ici. La Macédonienne Teona Strugar Mitevska (Dieu existe, son nom est Petrunya) se saisit d’un personnage historique tantôt porté aux nues, tantôt controversé (l’écrivain Christopher Hitchens qualifiait Mère Teresa de fanatique fondamentaliste et la critiquait, entre autres, pour son opposition à l’avortement, à la contraception, au divorce, pour l’indigence sanitaire de ses asiles, ses conceptions rétrogrades assimilant la souffrance à la rédemption, son opposition à l’éducation de ses religieuses et pour ses liens avec des dictateurs) et s’adonne à un fascinant exercice de style, une pure fiction narrant sept jours chaotiques de la vie de la religieuse. Qui aurait imaginé voir un jour à l’écran la vie de la « sainte de Calcutta » ponctuée de séquences oniriques lorgnant le film d’horreur, le tout ponctué de riffs agressifs de guitare électrique ? En ce sens, la présence de Noomi Rapace dans le rôle-titre n’est pas anodine, l’actrice suédoise à l’aura punk-rock indéniable étant une habituée des projets décalés et provoc’.

Mère Teresa et ses nonnes parcourent des rues où règne une misère abjecte, filmée de manière répugnante, dantesque, pour distribuer du pain et soigner les pauvres et les mourants. Elle vit sa vie et son sacerdoce selon des principes immuables, qu’elle impose d’une main de fer : se vêtir d’un simple vêtement de coton, ne pas se compromettre avec les plaisirs de la chair, ne posséder ni argent personnel ni compte en banque, réciter les prières du rosaire des dizaines de fois par jour, ne visiter sa famille qu’une fois tous les dix ans (sans la moindre exception permise) et ne s’attacher ni aux endroits ni aux possessions personnelles (elle ordonne à ses sœurs de régulièrement déplacer les meubles dans leurs chambres – ce qui s’apparente plus à un « TOC » qu’à de la dévotion)… Elle mène ses nonnes à la baguette, avec une autorité qui confine à la cruauté. Tout ce qui peut faciliter leur vie (par exemple une simple machine à calculer pour tenir des comptes précis) est catégoriquement proscrit.

La religieuse est montrée ici sous son jour le plus bassement humain, tel le Jésus de La Dernière Tentation du Christ, un film dont Mitevska reprend l’approche, mais dans une déconstruction principalement « à charge », déconstruisant le mythe. Mère Teresa est dépeinte comme une pécheresse, avec ses doutes, ses contradictions, son orgueil surtout. Lorsque sa confidente lui annonce sa grossesse, sa première réaction, égoïste, est de crier à la trahison, car ce scandale, s’il était révélé au grand jour, contrecarrerait ses ambitions professionnelles. Teresa se débat sans cesse avec sa vanité, se rêvant en sainte investie d’une mission divine, qui « sauvera des millions de vies », tout en implorant le Seigneur de l’aider à garder son humilité. Lorsque son monde s’écroule, elle transgresse ses propres règles, succombant à la tentation en cachant de la nourriture dans sa table de nuit et faisant preuve de colère lors de ses confessions au Père Friedrich (Nikola Ristanovski), avec lequel elle entretient une relation ambiguë. Tant d’orgueil et d’arrogance (elle semble, de manière générale, vouer une haine tenace à la gent masculine) en font un personnage parfois monstrueux, hypocrite, aveuglé par le ressentiment, oubliant son devoir de pardon et laissant de côté toute forme de compassion dès qu’elle est contrariée.

Voilà donc un film sulfureux dont émane un fumet de scandale et qui sera, à coup sûr, rejeté en bloc par les adorateurs de la religieuse canonisée en 2016. Outre les étonnantes audaces stylistiques, on retiendra surtout la prestation habitée de Noomi Rapace, dont le visage toujours si expressif mériterait un jour qu’on lui consacre une thèse.

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