Maison d'accueil des courts métrages, La Big Family distribue son important catalogue (250 titres) dans les festivals et télés belges et étrangers. Dans un mois, elle fêtera ses cinq ans à Cannes. Avant d'emporter deux escarpins, un smoking, une robe pailletée fendue et un noeud pap', Nathalie Meyer et Olivier Robyns exposent leur soutien aux films et aux réalisateurs.
Nathalie Meyer et Olivier Robyns : les 5 ans de La Big Family approchent
Cinergie : Nathalie, on s’est déjà croisé l’année dernière pour parler de court métrage alors je voudrais, en préambule, tout simplement savoir comment se porte La Big Family.
Nathalie Meyer : Super bien ! En fait, ce qui a évolué, en gros, depuis l’année dernière, c’est qu’Olivier [Robyns] est là à plein temps maintenant et fait totalement partie de La Big Family. Donc, on est deux, et on travaille mieux parce qu’il s’occupe de toute la partie festival. Il y a une stagiaire qui l’aide parce qu’on a de plus en plus de titres et du coup, ça détermine une vraie stratégie par film. Ça me permet de m’occuper encore mieux des ventes que je ne le faisais avant.
C : Tu parles des ventes à seule destination des télévisions ?
N.M. : Les ventes pour les télés, c’est le classique. Par contre, il y a plein de supports comme la VOD (Video on demand), qui se développe beaucoup. Dans les contrats classiques de télévision comme avec ARTE par exemple, on a une clause annexe qui comprend une sortie VOD du film. Et, simultanément, il y a plein de sites qui se sont développés ce qui nous permet de ressortir des anciens films et de leur donner une nouvelle vie sur des nouveaux supports. De nouvelles chaînes de télévision sont apparues comme Short TV (la télé consacrée au court métrage sur le câble). On leur a envoyé énormément de films et ils vont, je pense, en acheter beaucoup. Bien sûr, ces télévisions n’achètent pas cher (30 euros la minute, je crois) mais bon, c’est toujours intéressant de pouvoire ressortir les anciens films.
C : Olivier, décèles-tu un intérêt grandissant pour le court métrage via ton travail avec les festivals ?
Olivier Robyns : En fait, je m’occupe de toute la partie « festival » mais aussi de tout ce qui l’entoure. Donc, ça couvre la promotion, mais aussi les cartes blanches de plus en plus nombreuses. La Big Family fait une programmation de ses films selon le genre du festival, la thématique ou tout simplement nos coups de cœur.
Mais effectivement, on remarque que ça a beaucoup évolué depuis un an. De plus en plus de festivals émergents nous contactent pour avoir un aperçu de notre catalogue ou de certains films spécifiques qu’ils ont peut-être vus en sélection dans un autre festival ou parce qu’il y a un bouche-à-oreille qui a fonctionné. Voilà, ça permet, en effet, de commencer à tisser un réseau de plus en plus important. Et ce qui est très chouette, c’est que des pays qu’on ne pensait pas spécialement pouvoir atteindre commencent à nous connaître, je pense à l’Inde par exemple. Idem pour les pays de l’Est et les Etats-Unis. Il y a donc une relation à établir avec tous ces festivals.
C : Est ce que ce n’est pas dû aussi au fait que vous avez un catalogue important et éclectique ? L’année passée, il comptait 150 titres. Combien y figurent actuellement ?
N.M. : On est passé à 250.
C : 100 titres en un an ?
N.M. : Cette année, on a eu énormément de demandes. On est rentré de Clermont-Ferrand, plus gros festival et marché de courts métrages du monde, avec une valise pleine de DVD qu’on a regardés entre midi et deux avec notre sandwich. On en a pris 10% à peine, je pense : on a été assez sélectifs. On vient aussi de reprendre le catalogue d’animation de AAA dans lequel il y avait 35 films et de récupérer 11 films de Raoul Servais. Donc, ça crée des gros volumes.
O.R. : Et puis, il y a ceux de Need Productions aussi.
N.M. : Oui. Je suis retournée à mes débuts. J’ai commencé avec Need et quand j’en suis partie, j’ai monté La Big Family. Je suis contente, parce que je suis retournée à mes premiers amours : j’ai récupéré Tous à table, Surveiller les tortues, les films d’Yves Cantraine et les autres. Ce sont tous des films auxquels j’étais très attachée. Voilà, le catalogue de Need, c’est quand même une dizaine de films aussi. Donc, avec les autres précités, on arrive déjà à 50.
Ce qui est de plus en plus fréquent à La Big Family, c’est qu’on fasse deux contrats différents (festival et vente) pour les films belges francophones ou néerlandophones. Par contre, très souvent, les films étrangers n’ont qu’un contrat, celui de la vente télé. Ça fait donc un gros catalogue en vente mais pas forcément en festivals. Mais sur l’année, dans les festivals, on va probablement promouvoir jusqu’à 40 films, ce qui est déjà énorme. Au-delà, ça devient une industrie. Moi, je pense qu’on peut aller jusqu'à 40 films en restant dans quelque chose d’artisanal et en restant dans l’idée qu’on accompagne chaque film.
C : Justement, qu’est-ce qui motive une acquisition d’un nouveau titre ? Un coup de cœur, une fidélité pour un réalisateur ou une maison de production ?
N.M. : Il y a un peu de tout ça.
C : Vous discutez entre vous ?
N.M. : Ah oui ! Quand un titre est potentiellement à destination des festivals et des télés, on se concerte, parce qu’on va devoir tous les deux travailler dessus donc, si je n’aime pas le film, je ne peux pas le vendre et si Olivier ne l’aime pas, il ne va pas remplir les fiches d’inscription. Donc, oui, ça reste des coups de cœur. Et c’est vrai qu’il y a des fidélités à l’égard de certaines maisons de production comme Helicotronc : on trouve qu’ils ont une ligne éditoriale forte et que ça nous correspond bien. Maintenant, c’est vrai qu’on se dispute un peu parfois sur des films.
O.R. : Mais c’est rare parce que je pense qu’au fur et à mesure, l’expérience est là et on arrive vite à distinguer le film qui nous plaît et qui doit faire partie de La Big Family.
C : C’est quoi, finalement, les films estampillés « Big Family »?
N.M. : Ce sont des films qui nous plaisent et qu’on arrive à défendre même si on peut considérer qu’ils ne sont pas très bons. En regardant un film, on peut se dire que le montage n’est pas génial et que plein de choses ne fonctionnent pas, mais on sent qu’il y a un réalisateur derrière. Parfois, on peut regarder des films qui marchent super bien mais qui ne nous correspondent pas. Pourtant, ce sont des films qui cartonnent et qui sont vendus partout donc, on peut dire que commercialement, on s’est planté mais ce n’est pas grave parce qu’on reste fidèle à notre ligne.
O.R. : Et nous sommes amenés à renouveler le travail de promotion en envoyant les films de genre aux festivals spécialisés tout en maintenant la base, les festivals les plus importants donc ceux de catégorie A. Mais on ne va pas mettre une comédie au BIFFF ici à Bruxelles; ça ne sert à rien.
N.M. : Ben, Barbara Broadcast y a quand même été sélectionné.
O.R. : Oui mais celui-là, je le trouvais justement un peu décalé et mystérieux. Mais bon, on ne va pas inscrire KWIZ là-bas. Ce serait n’importe quoi, ça voudrait dire qu’on ne connaît ni le film, ni le festival. Donc, c’est vrai que, maintenant, on prend de plus en plus en compte les spécificités. Ça demande beaucoup plus de travail et de réflexion par rapport à la démarche à envisager.
N.M. : On devient de vrais professionnels (rires) !
C : En fait, il n’y avait pas vraiment de stratégie de marketing dans le court…
N.M. : Et bien voilà, l’idée, c’est qu’elle commence à s’établir en fait. Au bout de 5 ans, je connais très bien les festivals, les grandes télés, les acheteurs. Je sais ce qu’ils veulent, mais je ne me dis pas pour autant que je vais prendre un film parce que ARTE va me l’acheter. Par contre, si je trouve qu’un film correspond à ARTE, je vais avoir une grande discussion avec Hélène Vayssières. Si on n’est pas d’accord, on ne se dispute pas pour autant ! Idem avec Roland Nguyen de France 3 ou les filles de chez Canal. Maintenant, on attend les films de La Big Family. À Clermont, ils sont venus, et ils ont visionné tous les derniers films. Donc, il y a un vrai rapport professionnel entre eux et nous.
C : Ceci me permet de faire une super transition vers ce fameux Prix Coq de la diffusion de la Communauté française que tu as reçu cette année. Alors, elle est arrivée, la reconnaissance ?
N.M. : Ecoute, oui, elle est arrivée et j’étais contente d’avoir ce prix : ça fait quand même du bien! Il y a quand même 5 ans de travail acharné derrière. Mais ça ne veut pas dire pour autant que tout est acquis; il faut continuer. Si je vais demain à la Communauté française leur dire : « écoute, je fais ceci et cela », ça ne changera pas grand chose. Je n’ai pas plus d’influence aujourd’hui qu’avant. Par contre, avec le WBI [Wallonie Bruxelles Images], il y a un changement. Je sens vraiment un intérêt au sein du WBI pour le court métrage et ses professionnels. On essaye de travailler ensemble; il y a un vrai échange.
Voilà, je ne sais pas ce qui a permis de déclencher cette situation mais en tout cas, elle est là et c’est tant mieux. Je pense qu’on nous écoute d’une oreille un peu nouvelle. C’est comme ça, les entreprises, il faut passer le cap des 5 ans! Enfin, on n’y est pas encore; pour nous, c’est au mois de mai, pendant Cannes. En attendant, on change plein de choses assez régulièrement comme notre façon de travailler. Je crois qu’on avance dans le bon sens.
C : D’autres partenaires avec lesquels vous pourriez travailler en Belgique ?
N.M. : Si on vient nous faire des propositions intéressantes, on est ouvert. Mais c’est vrai qu’on reçoit plus de propositions venant de l’extérieur. En Belgique, le marché est très petit : il y a 4 ou 5 festivals intéressants et 2 ou 3 ventes télés. Les producteurs s’en occupent : on travaille plus à l’international. Donc, ça m’intéresse plus d’avoir un partenariat avec Aix-en-Provence par exemple, où il y a des acheteurs étrangers et où on peut avoir une carte blanche. En Belgique, à part me lancer dans la sortie salle…
O.R. : De toute façon, il y a quand même une certaine réglementation, une certaine marche à suivre. Tous les films doivent être aidés par la Communauté française et il faut un minutage maximum (6’-6’30’’) : ça limite déjà beaucoup les possibilités de visions en salles.
C : Tu penses au court avant le long ou bien carrément aux programmes entiers de courts ?
N.M. : Moi, je serais assez tentée de lancer des programmes et de faire des vraies sorties salles.
Je pense que sortir un film comme ça, de temps en temps, avec une copie qui circule à droite à gauche, c’est insuffisant. Alors, c’est peut-être complètement utopique, mais l’idée serait de faire des programmes avec cinq copies sorties en même temps dans toute la Belgique, comme pour un long métrage. Moi je pense qu’on peut faire plus d’entrées avec des courts métrages qu’avec certains longs métrages. Ça peut fonctionner, mais le problème, c’est que si je veux mettre un film néerlandophone et des films francophones qui n’ont pas été aidés par la Communauté française, c’est pour ma pomme. Et je n’ai pas encore eu le Win For Life pour le faire. (…) Mais je pense qu’il y a un public pour le court métrage.
La question est : est-ce qu’on est capable de tirer cinq copies, donc d’investir 5.000 euros minimum et 2.000-3.000 euros de promotion (faire et placarder des affiches, comme pour les longs métrages) ? Voilà, est-ce qu’on est prêt à mettre 7.000 euros dans une sortie ? Quand je les aurai, oui. Mais pour l’instant, ce n’est pas possible. Donc, je pense qu’un projet pareil se conçoit intelligemment et demande du recul. Il faut faire une étude de marché; moi, je ne vais pas foncer comme ça parce que je sais que c’est hyper casse gueule. Par contre, je sais aussi qu’Arnaud Demuynck a sorti un programme long et que ça a marché. Donc il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas.
C : Est-ce que tu penses que la question de l’initiation du public se pose encore ?
N.M. : Je vois le festival de Pascal et Céline : il y a un monde fou, c’est extraordinaire. Donc, il y a un intérêt pour le court métrage. Je pense que c’est possible, mais ça demande une bonne organisation : il faut une grande visibilité, de la pub, en parler. C’est comme ça qu’on y arrivera. Pour l’instant, ça reste un peu sous le manteau, mais je ne désespère pas. En plus, je pense que les salles numériques vont permettre de résoudre quelques problèmes de copies. Donc, le court métrage pourra avoir une place plus importante au cinéma.
C : Parle-moi un peu de Cannes. C’est quoi vos grandes nouvelles ?
N.M. : On va fêter notre cinquième anniversaire à Cannes, là où tout a commencé. Je pense qu’on va faire un petit truc « à la Big Family », un peu à l’arrache artisanale. On va bien trouver quelques bouteilles de champagne, des transats, une bonne petite plage et piquer des feux d’artifices ! Non, sérieusement, comme d’habitude, nos films sont sur le serveur. Par contre, la nouveauté, c’est qu’on est devenu agent de vente de Bunker Paradise. Le film a déjà circulé donc, on va essayer de le vendre sur certains territoires (en gros, pas en France et au Bénélux mais bien dans le reste du monde). Je trouve que c’est vraiment une marque de confiance de la part d’Artemis Productions et de Patrick Quinet parce que l’économie et la promotion d’un long métrage ne sont pas les mêmes que celles d’un court métrage.
Alors, on va faire une projection du film à Cannes. Donc, on travaille déjà en amont la promotion en pensant aux communiqués de presse à l’instar de ce qu’on fait pour les courts métrages. La démarche est la même; ce sont les interlocuteurs qui changent. Comme l’année passée, on avait déjà Nuit Noire (Olivier Smolders) en tant qu’agent de vente, on a commencé à avoir des contacts du côté des distributeurs de longs.
C : Tu as envie par cette voie-là d’accompagner de plus en plus de longs métrages et de réalisateurs ?
.M. : Je ne sais pas trop. C’est une expérience donc on va y aller tranquillement comme on l’a fait avec La Big Family. On va donc essayer de faire ça bien. De toute façon, il faut se roder vu que je pense que c’est beaucoup plus difficile que pour le court. Mais en même temps, c’est une aventure excitante d’autant plus que quand les réalisateurs de notre catalogue passeront au long métrage, on pourra éventuellement les accompagner.
C : Quel bilan tirez-vous de ces cinq ans ?
O.R. : Ça fait un an et demi que je suis à la La Big Family et beaucoup de choses ont changé dans notre façon de travailler. C’était quand même très artisanal au début, mais on se professionnalise de plus en plus. Je crois que maintenant, on est plus à même de prendre beaucoup de films, de pouvoir mener plus de promotion. Je crois que ça se traduit aussi par la confiance de certaines maisons de production. Il y a aussi ce cadeau, ce pari de faire la promotion de Bunker Paradise, ce qui n’est pas rien. Ça se marque aussi par une reconnaissance encore plus accrue des festivals qui, franchement, sont très nombreux à nous envoyer des mails pour tel ou tel film. Et c’est vrai que tout ça se fait grâce à la confiance des réalisateurs et des producteurs qui continuent à nous envoyer leurs films. Je pense qu’ils sont contents de ce qu’on fait.
Notre but reste de se professionnaliser encore plus, mais de garder toujours cet aspect Big Family. C’est quand même important d’arriver dans une structure où on t’appelle par ton prénom et où on ne te demande pas qui tu es.
Maintenant, on essaye de nouvelles choses [le long] en espérant que ça marche. Voilà, on se lance : c’est un peu une nouvelle aventure. Et au niveau du court métrage, on est présent, mais on n’a pas la grosse tête pour autant; on reste humble. Que ce soit court ou long, c’est le même combat, même si la démarche est différente. C’est d’ailleurs d’autant plus sympa parce que cela permet de voir d’autres choses. Alors, on a de la chance : le court métrage bénéficie d’une jolie vitrine. Les festivals l’aiment beaucoup et veulent savoir ce qui se fait. Je trouve qu’on a une vraie liberté créatrice en Belgique : tu peux tout faire, tu peux parler de tout, contrairement à certains pays dans lesquels le court est politiquement correct et un peu plus cadré qu’ici. Cette liberté est vraiment reconnue dans les festivals; tout le monde le dit. Ça encourage d’autant plus à continuer.
N.M. : Dire qu’il n’existait rien avant serait un peu prétentieux. Je pense que les gens se sont très bien débrouillés sauf qu’on a créé un service qui est apprécié et qui tourne toujours au bout de cinq ans. On a commencé par cinq films à distribuer et là, on en arrive à 250. On se dit que finalement c’était une bonne idée au bon moment. Au bout de cinq ans, ça marche bien, même si je galère toujours un peu parce que La Big Family reste fragile. On a installé quelque chose que les gens apprécient. Voilà, je ne peux plus arrêter maintenant.