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Nina d'Emmanuel Elliah et Maria Körkel

Publié le 11/04/2016 par Serge Meurant / Catégorie: Entrevue

Ce premier court-métrage d’animation d’Emmanuel Elliah et Maria Körkel a été sélectionné en 2016 à la Berlinade , dans la section «  Génération » destinée au jeune public, pour le regard subtil et délicat qu’il porte sur l’enfance et l’utilisation expérimentale des techniques d’animation. Il restitue, à partir d’un scénario minimaliste et poétique, le drame de la séparation vécue par une petite fille sur une plage de Marseille. Il suggère au spectateur ce que signifie grandir pour un enfant. C’est un bijou.

 

Cinergie : Il s'agit d'un beau court-métrage d'animation subtil, délicat sur le thème de l'enfance. Il suggère le drame de la séparation vécu par une fillette après qu'elle ait rencontré, sur la plage, un garçon de son âge qui s'est ensuite détourné d'elle pour rejoindre ses camarades. Comment est née votre association pour ce premier film ?
Emmanuel Elliah : J'avais commencé à écrire des histoires d'enfants qui jouaient sur la plage des calanques, près de Marseille où je suis né. Je les ai fait lire à Maria, et je lui ai demandé si cela lui plairait de réaliser à partir de l'une d'elles, un court-métrage d'animation. Elle a accepté et elle a commencé à faire des recherches sur la manière de traduire visuellement mon récit.
Maria Körkel : J'ai accepté la proposition d'Emmanuel parce qu’elle évoquait également pour moi un souvenir d'enfance. Cette idée du souvenir a été très importante quand j'ai développé le visuel de son histoire. Ce qui est intéressant et magnifique avec l'animation, c'est qu'on peut inventer des univers visuels très différents et très variés. Pour cette histoire, il fallait trouver le juste équilibre entre un univers réaliste en même temps qu'imaginaire. C'est pour cela que j'ai commencé à expérimenter la technique de la rotoscopie.

 

C. : En quoi consiste cette technique ?
M. K
: C'est une technique d'animation dont la base est la prise de vue réelle. C'est ainsi que nous avons réalisé un vrai tournage avec des enfants dans les calanques.
E. E. : Il a duré cinq jours. Bien qu'il soit assez facile de se rendre à la plage, le trajet semblait long pour ces jeunes enfants. C'était au mois de juin. La lumière était belle. La plage est un lieu très fréquenté, on entendait les cris des enfants, des touristes, le chant des grillons. Le tournage a été une véritable aventure, pour nous-mêmes autant que pour ces enfants qui, pour la première fois, jouaient dans un film. Nous voulions leur laisser le plus de liberté possible.
M. K. : Puis, nous avons effectué un premier montage des images réelles. Elles étaient très surexposées et je les ai beaucoup travaillées pour obtenir une bonne lumière qui nous fasse pénétrer dans le souvenir, et nous éloigne du réalisme. Je les ai imprimées ensuite en semi transparence et je les ai peintes à l'acrylique, en très petit format de 12 à 16 images par page A4. Ces peintures ont été photographiées et les photos ont été montées pour le film. Mon travail sur l'animation a été minutieux. Il a duré à peu près un an et demi C'est la première fois que j'utilisais cette technique de la rotoscopie. Je n'avais donc pas d'expérience et je ne pouvais voir le résultat de mon travail qu'une fois terminé. Si je m'étais trompée avec des couleurs ou avec l'animation, je devais le refaire entièrement. C'est ce qui explique la longueur du processus.

 

C. : La vision de ce premier montage a-t-elle infléchi le traitement de votre récit ?
E. E : Au début, nous avions imaginé qu'il s'agirait d'un frère et d'une sœur. Ce qui était le cas dans la réalité. Mais dès le montage, nous nous sommes rendu compte que les gens à qui nous montrions notre travail voyaient plutôt dans notre film la rencontre d'enfants de familles différentes. Ils y percevaient aussi le drame d'une séparation enfantine. Cela a modifié la manière dont on a retravaillé le scénario.
Au moment du tournage il y avait, en effet, beaucoup de scènes où les enfants se trouvaient enfermés dans leur bulle. Ce qui nous intéressait, c'était de montrer comment ils prenaient conscience de leur dualité et comment cela créait entre eux une séparation. L'idée nous est aussi apparue qu'il fallait traiter la nature comme un personnage à part entière.
M. K : C'est alors que s'est développée l'idée d'une séparation « dramatique ». Nina se sent délaissée. Elle ne sait pas comment réagir ni quoi faire après le départ de son ami qui s'est trouvé un autre compagnon de jeu. Elle souffre de cette séparation. C'est la première fois qu'elle se confronte à elle-même et se pose des questions : « Comment réagir ? Comment subir ce petit vide qui s'installe? » Puis, elle suit son propre chemin. Elle s'égare un peu dans la nature, mais elle sait qu'elle doit s'en sortir seule, avec l'idée d'avoir un tout petit peu grandi, mûri, grâce à cette expérience un peu douloureuse.

 

Cinergie : Le film développe une certaine chorégraphie.
M. K. : Dans ma conception de l'animation, les mouvements sont très importants. Pour montrer la joie et l'harmonie entre le garçon et la fille au début, il fallait qu'il y ait une grande activité : des enfants qui jouent, qui sont très énergiques, qui rigolent, qui se taquinent un peu. C'est pourquoi il y a beaucoup de plans où la fille court après le garçon, ils s'arrosent, ils construisent un château de sable ensemble. Après, lorsque le garçon s'est éloigné et qu'elle se retrouve seule dans la nature, on a choisi des plans très longs, presque sans mouvement, comme des tableaux, pour plutôt dessiner son silence ou son reflet. La chorégraphie du film, c'était d'abord une agitation qui mène à un chemin que gravit Nina en escaladant les rochers. Elle s'immobilise alors avant de reprendre sa route.

 

Cinergie : Votre film est presque silencieux. Seuls nous parvient, obsédant, le bruit du ressac. Comment s'est effectué le travail du bruitage, la création de la partition sonore ?
M. K. : On cherchait un son naturel, mais en même temps un peu abstrait, comme l'image. Le son enregistré lors du tournage me semblait trop réaliste et cela m'a pris beaucoup de temps pour m'y habituer et créer une bande sonore conforme à mon désir de silence.
E. E. : Finalement, Maria a puisé des bruits dans d'anciens enregistrements et le son dans le film est très élaboré.

 

C. : Votre court-métrage a-t-il déjà été montré ?
M. K. : L'avant-première de notre film a eu lieu à BOZAR à Bruxelles, suivie d'une première mondiale à Berlin, il y a deux semaines. C'était une grande surprise d'être invités à la Berlinale.

 

C. : Quelles ont été les réactions du public ?
E. E. : À la Berlinale, nous avons été sélectionnés dans une section appelée « Génération » destinée au jeune public. Le film a été montré à des enfants qui avaient l'âge des personnages.
M. K. : Nous avons recueilli beaucoup de réactions positives de la part de ces enfants, bien qu'il ne s'agisse pas à strictement parler d'un film qui leur soit destiné ! Les questions qu'ils nous ont posées après la vision du court-métrage témoignaient d'une vraie curiosité.

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