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Déborah François : « Même si les gens en ont marre du bruit, ce ne sera pas terminé tant qu’on n’aura pas fini de parler »

Publié le 06/05/2025 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Présidente du Jury de la compétition internationale au dernier Festival de Mons, la comédienne Déborah François a ouvert la cérémonie des Magritte cette année. Il y a 20 ans, elle faisait ses débuts au cinéma. Son personnage s’appelait Sonia, le film, c’était L’Enfant  et était réalisé par Jean-Pierre et Luc Dardenne.
Depuis, Déborah François a tourné avec d’autres cinéastes (Denis Dercourt, Jean-Paul Salomé, Rémi Bezançon, Emmanuel Mouret, Dominik Moll, Nicole Garcia, Claude Lelouch, …).
A Mons, nous avons eu quelques minutes pour parler avec elle de sororité, des femmes, de la relève belge et de sa toute première collaboration avec Lucas Belvaux pour son nouveau film
Les Tourmentés.

 

Photo : Guillaume Plas

Déborah François  : « Même si les gens en ont marre du bruit, ce ne sera pas terminé tant qu’on n’aura pas fini de parler »

Cinergie : Aux Magritte, vous avez parlé avec beaucoup d’émotion et de justesse d’Emilie Duquesne, tout en citant la famille et la sororité. Vous n’avez pas juste en commun le fait d’avoir tourné avec les mêmes réalisateurs et votre nationalité belge. On sentait bien le lien d’amitié entre vous. Que représentent ces mots de sororité et de famille pour vous ? 

Déborah François : Je pense qu’au cinéma, comme partout ailleurs, dans toutes les branches de la société, il y a un lien qui est important. Ce n’est pas quelque chose d’acquis de dire que toutes les femmes doivent être super solidaires. La société nous met en opposition. Oui, il y a un certain nombre de rôles pour un certain nombre de personnes, mais comme partout ailleurs dans la société : il y a toujours un certain nombre de places pour un certain nombre de personnes. La première question qu’on va nous demander, c’est si on est en compétition. Ce n’est pas une question qu’on va demander à un homme et encore moins à un acteur. On va leur dire : « ah ben oui, vous êtes amis ». Tandis que les femmes sont ramenées à cet esprit de compétition et qu’on ne se pose pas la question de leur lien éventuel d’amitié.

 

C. : A Mons, vous avez accompagné une délégation dune dizaine de jeunes acteurs et réalisateurs belges. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle génération ? Quel a été l’enjeu de votre présence ? 

D. F. : L’objectif était vraiment de les rencontrer et de les connaître. Là où j’ai plus de décalage, c’est avec la jeune génération, des gens qui ont 20-25 ans et que je n’ai pas rencontrés parce que je suis partie vivre à Paris il y a un moment. Grâce à ce type d’événements, on a l’occasion de se rencontrer. Il y a des talents incroyables qui arrivent. J’ai envie de leur parler, qu’on travaille ensemble. Avec certains, ça a déjà été le cas, comme avec Diego Murgia ou Sophie Breyer. Il y a plein d’autres talents tels que Daphné Huynh. Et puis, il y a Michiel Blanchart que j’ai rencontré aux Magritte, Jonas Broquet que je n’avais pas vu depuis si longtemps . On était tous là.  Il y a aussi des gens que j’ai ratés au Magritte, qui m’ont écrit après me demandant où j’étais. C’est comme quand vous fêtez votre anniversaire : vous n’avez jamais le temps de parler à tous vos amis !

 

C. : Vous avez réalisé un court-métrage il y a quelques années (Mouton noir, 2022). Où en est votre désir de réalisatrice ?  

D. F. : Mon désir en tant que réalisatrice est toujours là. Je continue à écrire. J’ai déjà écrit un film (Mi soledad tiene alas) qui a été tourné, qui est sur Netflix, et qui est aussi sorti en Espagne. Maintenant, j’écris en français.

  

C. : Depuis un moment, on est plus alerte dans le cinéma face aux débordements, qu’ils concernent les dérapages à connotation sexuelle et/ou le manque d’attention accordée aux plus jeunes sur les plateaux. Vous avez commencé très jeune, à l’âge de 17 ans sur L’Enfant. Vous avez été exposée très vite à la presse, aux festivals, à la notoriété. Aviez-vous des sortes de garde-fous qui vous protégeaient d’une certaine façon ? 

D. F. : Non, je n’en ai pas eu. Ma plus grande peur, c’est toujours d’être consciente et de ne pas être naïve à propos de la question et de savoir que des hommes peuvent essayer de m’attaquer ou simplement être très insistants et me retrouver dans des situations très désagréables, voire illégales. Mais j’ai eu la chance de tomber sur de bonnes personnes la plupart du temps. Comme toutes les femmes, j’ai aussi rencontré des mauvaises personnes. Que dire de plus ? J’ai l’impression que ça transcende tellement le cinéma, mais si on peut en parler et faire du bruit, ça arrivera partout et dans toutes les couches de la société, ça touchera des professions différentes. Du coup, c’est bien qu’on fasse du bruit. Mais même si les gens en ont marre du bruit, ce ne sera pas terminé tant qu’on n’aura pas fini de parler. Je pense aussi qu’il y a une nouvelle génération qui veut prendre la parole. En tant que femmes, on devrait toujours être vigilantes quand on pense aux nouvelles générations. C’est un combat qui est tellement permanent et qui peut tellement vite perdre du terrain. On peut le voir : il y a beaucoup d’endroits dans le monde où les progrès ont tendance à reculer.  Je ne suis pas sûre que ce soit le moment de dire qu’on peut respirer. Mais oui, il y a des choses qui me donnent de l’espoir et il faut parier là-dessus et vraiment ne pas essayer de s’endormir. 

 

C. : Vous avez tourné dans Les Tourmentés, le nouveau film de Lucas Belvaux, adapté de son premier roman (Ed. Alma, 2022, réédité chez Folio, 2024). C’était la première fois que vous travailliez ensemble ?  

D.F. : Oui. Ça a été génial de travailler avec lui !

 

C. : Qu’avez-vous appris par rapport à la direction dacteur ?   

D.F. : Je suis revenue à quelque chose de beaucoup plus simple. Il avait une direction que je n’avais pas eue depuis longtemps de cette manière parce que c’est lui et que j’adore son cinéma. Je voulais être proche de mon personnage. On ne se demande pas si le personnage que je joue existe ou non, on la voit juste à l’écran et c’est quelque chose de très réel. 

 

C. : Quel est votre personnage ? 

D.F. : Je joue l’ex-femme de Niels Schneider, le personnage principal. Nous sommes seulement quatre, d’ailleurs : Niels Schneider, Ramzy Bedia, Linh-Dan Pham et moi. Le film est très étrange et le script est génial, c’était super de tourner avec Lucas. Je ne peux pas dire  que je joue une mère courage, mais une mère célibataire qui mène son quotidien de front, qui voit son ex-mari qu’elle pensait perdu pour la société, revenir dans sa vie et en prendre le contrôle. Qu’est-ce que ça fait à une famille, aux enfants et à cette femme qui était seule depuis longtemps ? Cela donne beaucoup de perspectives et c’est un projet qui m’intéresse beaucoup. 

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