Dans son court-métrage underneath it flickers, prix Cinergie du festival En ville!, lau persijn nous emmène dans un voyage onirique et envoûtant à la découverte de la friche Josapahat, susceptible de disparaître pour laisser le champ libre au marché immobilier bruxellois. Iel revient avec nous sur l’expérimentation qu’a constituée la réalisation de ce film et sur les enjeux politiques qu’il sous-tend.
lau persijn, underneath it flickers
Cinergie : D'où vous est venue l'idée du film ?
lau persijn : Durant toutes mes études de cinéma, j'ai été très intéressé·e par la façon dont nous, en tant qu'humains, nous nous connectons avec notre environnement non humain. J'ai appris l'existence de la friche Josaphat appartenant alors à la SNCB. Puis la ville de Bruxelles l'a achetée. Mais ils ne savaient pas trop quoi en faire. Cela fait entre 20 et 30 ans qu'ils la laissent à l'abandon. Beaucoup de biodiversité s’y est développée, ce qui en fait maintenant un espace vert. J'étais très intrigué·e qu'un grand espace ainsi existe à Bruxelles, mais que peu de personnes connaissent son existence. La ville veut maintenant y construire des appartements. J'étais très intéressé·e par cet espace étant dans un environnement urbain, sur le point d'être détruit. Je voulais faire un film traitant de cette situation pressante.
C. : Était-ce un désir commun que vous partagiez les quatre étudiant·e·s cinéastes de réaliser un film de fin d'études à la thématique politique ?
l. p. : Notre ambition n'était pas de faire un film politique. Mais je pense qu'on voulait être ancré·e·s dans la réalité où nous vivons. Il est nécessaire de faire preuve d'esprit critique par rapport à notre environnement, la façon dont nous vivons. On avait l'idée de documenter un endroit qui, d'après nous, devait être préservé et établir un lien avec celui-ci. La thématique de l'existence particulière d’une zone verte dans une ville en fait une histoire universelle. On n’était pas sûr·e·s de vouloir faire un film politique, il était plus question de porter notre attention sur cet endroit, de l’écouter. On voulait faire un exercice d'écoute attentive et cette écoute était politique.
C. : Était-il facile de faire ce film-là ? Avez-vous dû recevoir une autorisation ? Comment étaient les conditions météorologiques ?
l. p. : Nous n'avons pas eu beaucoup de contact avec les autorités locales. On a pu accéder à l'endroit grâce à nos connaissances. Beaucoup de projets citoyens s'y développaient. Pour moi, il s'agissait d'un moyen beaucoup plus convenable d'être en contact avec la friche que de passer par les autorités. Je ne voulais pas qu'ils sachent qu’on faisait un film sur la préservation de ce lieu. Par rapport à la météo, nous en étions très dépendant·e·s. Nous allions filmer une fois toutes les trois semaines. On a commencé à filmer en septembre 2023 et on a fini en avril 2024. Souvent il pleuvait ou il faisait très gris, donc ce n'était pas le bon moment pour aller filmer. Il fallait toujours prendre en compte les conditions météorologiques. Une certaine beauté en a émergé : on voulait collaborer avec l'endroit, mais si tu veux collaborer avec lui, tu dois faire face à la météo. Pour moi, c'était donc normal de tenir compte du moment où on pouvait y aller ou non.
C. : Pourquoi avez-vous décidé de faire un film silencieux sans voix et de garder uniquement des sons de nature, du trafic et ces sons surréalistes ?
l. p. : Ce film constituait une recherche. On a commencé par une approche d’observation pour documenter l'endroit. On allait souvent là pour observer et écouter ce qui était là. On a aussi fait beaucoup d'enregistrement à certains endroits de l'espace. On tentait de toujours garder en tête comment on pouvait laisser l'espace s'exprimer tout seul, sans que ce soit nous qui en parlions. Après quelques fois où nous avons filmé, nous voulions remarquer comment nous écoutions et expérimentions cet endroit, parce qu'on y allait toujours avec la même caméra et le même micro. Ensuite, on a songé à d'autres perspectives, par exemple une approche beaucoup plus proche des endroits ou des points de vue à différentes hauteurs. On a aussi fait des expériences en changeant la fréquence du micro. J'étais très curieu·x·se de voir ce que ça donnerait d’enregistrer le son des trains depuis le sol. Cela a certainement eu un impact. On a ensuite utilisé différents microphones, dont un hydrophone. On a aussi le microphone de contact qui nous a permis d’enregistrer les sons de différentes substances, comme l'herbe et le bois. Il s'agissait de questionner notre façon d'écouter, de revisiter les outils utilisés pour ce faire. Nous avons aussi tenté de trouver une sorte de réciprocité dans cette écoute. Pour rendre cette question très concrète, on a filmé la friche Josaphat sur des films de 16 millimètres. Après que les images soient développées, on les a mises dans l'eau de la friche. Après quelques semaines ou mois, on les a reprises pour voir ce qu'il en restait. C'était devenu très abstrait. C'était comme une réponse de sa part. On pouvait toujours percevoir ce qui se trouvait sur ces images. J'ai aussi laissé un film là pendant deux mois. Il y avait des fragments du film toujours reconnaissables. Le film analogique est en plastique et contient une substance similaire à la gélatine. Pour éviter de laisser des paillettes de film dans l’étang pendant le processus, j’ai placé le film dans un sac. En mettant cela dans l’eau, la gélatine part du plastique et le film se dissout. Plus tu le laisses dans l'eau, plus ton image devient abstraite. Puis j’ai scanné les restants du film. On a ensuite transformé les images en sons avec un spectrogramme. Il s'agit d'un instrument qui permet de transformer des sons d'une certaine fréquence en images à travers un algorithme. On l'a fait dans l'autre sens. Les sons très abstraits à la fin ont été élaborés à travers ce processus. Au milieu du film, on a aussi mis des sons très rythmiques, venant de cette technique de spectrogramme. Le but de ce projet était d'opter pour une vision collaborative. Comment trouver le moyen pour que la friche produise des sons ? Tous les sons proviennent de là.
C. : Avez-vous quelque chose d’autre à ajouter sur cette technologie sonore ?
l. p. : On a aussi utilisé un géophone qui sert à enregistrer les tremblements de terre. Cela enregistre les basses fréquences dans la terre. Toutes ces technologies m'ont connecté·e à cet endroit. Mis à part ces différentes manières d'enregistrer et ces sons, on a été une étape plus loin. Le but était de savoir comment la friche pourrait répondre à nos sons. Le but était donc de situer les limites de ce qu’il était possible de faire en son sein.
C. : Pourquoi avez-vous choisi d'utiliser seulement des gros plans ?
l. p. : C'était toujours dans l'optique d'adopter un autre point de vue au sein de cet endroit. Je ne voulais pas utiliser la perception humaine qu'on est habitué·e à utiliser, mais d'en embrasser d'autres. Beaucoup de renards vivent ici, mais quel est leur point de vue ? Plaçons la caméra à leur hauteur. J’aurais voulu aussi prendre en compte le point de vue des oiseaux. Mais cela aurait été très compliqué. Ça aurait créé trop de divergence dans le produit final du film.
C. : Comment le film a-t-il été accueilli ?
l. p. : Honnêtement, je n'ai pas envoyé le film aux autorités locales. J'aimerais bien le faire. Mais je ressens une certaine peur, comme je n'étais pas autorisé·e à être là. Il s'agissait d'un endroit privé, appartenant à la ville de Bruxelles. Mais c'est bizarre, car ça n'appartient à personne et à tout le monde en même temps. Un jour, j'y ai été pour faire certaines prises de son avec mes collègues. Et il y avait une personne issue des autorités locales qui était près de l'entrée de la friche avec un groupe de personnes. On voulait rentrer et cette personne nous a demandé une autorisation. J'ai répondu que je n’en avais pas. Elle a rétorqué que je ne pouvais pas entrer sans autorisation. Ils étaient très sur la défensive à ce propos. Mais j'ai invité des gens qui faisaient partie du projet à voir le film. Ils ont très bien réagi. J'espère que ce film va leur permettre de faire avancer leur cause, que cela va permettre de divulguer le risque lié à la disparition de cet endroit. J'espère que le public se ralliera aussi à cette cause.
C. : Quelles sont les thématiques que vous voulez aborder dans votre filmographie ?
l. p. : Je suis très intéressé·e par l'eau, car on écoute toujours notre environnement depuis notre point de vue, au-dessus de l'eau, au niveau du sol. J'adore faire des films dans l'eau. Je trouve aussi absurde qu'à Bruxelles nous ayons recouvert la Senne. Je pense que cela représente la façon dont on se perçoit nous-mêmes. On pense que nous, en tant qu'humains, sommes plus importants que la vie aquatique. C'est quelque chose sur lequel je veux vraiment travailler et je souhaite en faire des recherches. Je veux encore utiliser l'hydrophone, car de magnifiques sons en ressortent.
C. : Voulez-vous ajouter quelque chose pour conclure ?
l. p. : Le processus du film était une interaction entre les cinéastes, la friche et les instruments qu'on a utilisés. Le but était de jouer avec les limites de ces trois pôles. Par exemple, pour découvrir la friche, nous devions nous adapter à son rythme, aux saisons. Quant à la caméra, elle ne pouvait enregistrer l'image que pendant trente secondes, donc cela m'a parfois empêché·e de faire des plans plus longs. Ça a rajouté une certaine beauté au processus. Les micros avaient aussi certains paramètres, certaines fréquences prédéfinies pour enregistrer le son de certaines choses. Tous ces processus ont rendu la réalisation du film très amusante.