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Normale de Olivier Babinet

Publié le 05/04/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Seule contre tous

Lucie (Justine Lacroix), 15 ans, vit seule avec son père, William (Benoît Poelvoorde), un veuf dépressif qui, sous ses airs d’adolescent attardé, lutte contre la sclérose en plaques. William ne s’est jamais remis de la mort de son épouse dans un accident de moto et vit aujourd’hui cloîtré dans une maison crasseuse à fumer des joints, regarder des films d’horreur et jouer à des jeux vidéo en ligne. Sa santé déclinant de jour en jour, il ne peut plus se passer de l’aide de sa fille.

Normale de Olivier Babinet

Entre le collège et ses aléas, un premier amour qui ne se concrétise pas avec un autre marginal prénommé Etienne (l’excellent Joseph Rozé) et la charge du quotidien, Lucie gère tant bien que mal. Responsable du ménage et du bien-être de William, elle est épuisée, a du mal à se concentrer en classe et, malgré une intelligence et une imagination supérieures à la moyenne, voit ses notes et sa confiance en elle chuter. Son seul répit, elle le trouve dans l’écriture d’un roman autobiographique qui navigue entre rêve et réalité et dans les mensonges rocambolesques qu’elle invente pour justifier ses absences en classe. Pour l’instant, Lucie a surtout besoin d’un peu de normalité. Or, la menace de la visite à domicile d’une assistante sociale qui pourrait la placer en centre d’accueil va bousculer cet équilibre précaire. Lucie et William vont devoir redoubler d’inventivité pour donner l’illusion d’une vie normale.

Comme dans ses travaux précédents (Robert Mitchum est Mort, Poissonsexe, le documentaire Swagger), Olivier Babinet situe Normale, adaptation de la pièce Monster in the Hall, de David Greig, à mi-chemin entre véracité et onirisme, sur un ton tragi-comique original et toujours juste. « Une goutte de Miyazaki dans les frères Dardenne » est la formule que le cinéaste utilise pour décrire le ton de son film, une attachante rêverie dans laquelle le merveilleux, sorti de l’imagination de l’héroïne, vient briser la grisaille du quotidien. Afin de rendre son récit universel, le réalisateur fait son possible pour ne pas le dater, notamment grâce à l’emploi d’anachronismes discrets et des choix musicaux qui le situent dans une sorte de réalité parallèle fantasmée, loin des clichés du film social.

À l'heure où la plupart des œuvres mettant en scène des jeunes gens misent sur le surjeu, il est rafraîchissant de voir deux jeunes acteurs (Justine Lacroix et Joseph Rozé) en faire le moins possible, avec un naturel désarmant. Leurs doutes, leurs complexes, leurs frustrations sont joués sur un ton pince-sans-rire, avec douceur, une bonne dose d’humour absurde et beaucoup de pudeur, y compris dans des situations potentiellement scabreuses. Mais c’est avant tout le lien père-fille qui fait la force de Normale. Le duo Justine Lacroix/Benoît Poelvoorde fonctionne à merveille sur un mode inversé : elle est l’adulte responsable et lui l’enfant immature. Poelvoorde trouve le juste équilibre entre « baraki » irrécupérable et vieil « adulescent » moins idiot qu’il en a l’air. Dans la peau de cet homme affaibli, l’acteur ne s’était probablement jamais montré aussi vulnérable.

Normale s’avère plus délicat, moins spectaculaire et ouvertement original que Poissonsexe, mais le nouveau film d’Olivier Babinet gagne des points en refusant farouchement d’enfermer ses protagonistes dans des carcans archétypaux. Ici, personne n’est jamais vraiment ce qu’il semble être à première vue, et tout le plaisir de ce petit film consiste à découvrir ce qui se cache derrière les carapaces.

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