Notre musique et Eloge de l’amour de Jean-Luc Godard
Notre musique
Trois séquences : L’Enfer, le Purgatoire, le Paradis. On démarre en Enfer, avec un déluge d’images (fiction et documentaire, film et vidéo) sur un siècle dominé par les massacres, les guerres, les génocides, la bombe atomique et le napalm. Dix minutes hallucinantes. Le Purgatoire nous emmène en ex-Yougoslavie, à Sarajevo (capitale de la Bosnie) où une guerre féroce a mobilisé une série d’intellectuels et d’artistes (dont JLG) et si peu d’amorphes populations européennes. L’on sait désormais que même lors du génocide de Srebrenica, les forces hollandaises de l’ONU ont déguerpi, sans souci, devant les troupes de Ratko Mladic. Une Europe endormie. Une Europe aveugle devant l’obsession de la mort qui sévissait en ex-Yougoslavie. « La vie est une chose, la mort en est une autre. La vie existe, la mort n’existe pas » explique Godard.
JLG débarque d’un avion à Sarajevo pour assister, avec des intellectuels, écrivains et artistes, à une rencontre européenne afin que Sarajevo continue à exister collectivement dans l’esprit européen ( qui s’en souvient aujourd’hui dans ce perpétuel présent qui dissout le passé). Il s’agit là d’une invitation du Centre Culturel français (le Centre André Malraux) animé par Francis Bueb. Pierre Bergougnioux, Juan Goytisolo, Jean-Paul Curnier parlent. Que disent-ils ? Ce qu’ils écrivent dans leur livre. « Nous sommes incapables de nous libérer, et nous appelons cela la démocratie (…) Pour Claude Lefort, la démocratie moderne prédispose au totalitarisme (…) Victime ou criminel, il n’y a pas d’autres choix, mais il est possible, pour éviter d’être jugé comme criminel, de dénoncer plus criminel que soi, un monstre dont on ne serait en réalité que la victime (…) Le monde est, à présent, clivé entre ceux qui se bousculent pour faire entendre leur malheur et ceux à qui ce défilé public apporte chaque jour sa dose de réconfort moral à leur domination (…) On parle toujours de la clef du problème, on ne parle jamais de la serrure. » Et cette phrase percutante de JLG : « Le communisme a existé une fois en deux fois quarante-cinq minutes, au stade de Wembley, lorsque le Honved Budapest a battu l’Angleterre par 6 buts à 3. Les Anglais jouaient individuels, les Hongrois jouaient ensemble. »
Une jeune Israélienne (Nade Dieu) interroge Mahmoud Darwich, le Palestinien. Elle vient à Sarajevo pour y découvrir « un endroit où la réconciliation est possible ». Elle y filme le pont de Mostar en confiant le DVD à JLG et se sacrifie dans son pays à la manière de Pierrot le Fou.
On la revoit dans le Paradis, sorte d’Arcadie où les rues sont gardées par les Marines des Etats-Unis d’Amérique (si, si) et où elle retrouve la paix au bord de l’eau.
L’incroyable beauté de Notre Musique nous incite à revoir l’un des dernier film de JLG (c’est le charme des DVD).
Eloge de l’amour
Eloge de l'amour est le second DVD de la série "2 films" des Cahiers du Cinéma. Edgar, un cinéaste (Bruno Putzulu) essaie de tourner un film qui s’avère difficile à financer. Il fait passer des castings où Elle (Cécile Camp) l’envoie promener ailleurs. Du coup, il erre dans les rues de Paris qui nous rappellent celles des films de la Nouvelle Vague (À bout de souffle, Vivre sa vie, Les Quatre cents coups). Il rencontre, chez eux ou en voiture, des gens de l’art et de la finance (Remo Forlani, Claude Baignières).
La première partie est tournée en noir et blanc. La seconde filmée en DV-cam dans des couleurs saturées avec Edgar se déplaçant en province à la recherche de la résistance (Jean Lacouture). Qu’en reste-t-il au moment où le chaos, la terreur règnent en ex-Yougoslavie ?JLG a toujours eu une longueur d’avance, ce qu’explique très bien Gilles Deleuze : « Godard a devancé et marqué tout le monde, mais pas par des voies qui auraient été celles du succès, plutôt en continuant sa ligne à lui, une ligne active de fuite, ligne tout le temps brisée, en zigzag, en souterrain. (…) Ce qui compte chez lui, ce n’est pas deux ou trois, ou n’importe combien, c’est ET. L’image du Et chez Godard, c’est l’essentiel. C’est important parce que toute notre pensée est plutôt modelée sur le verbe être, EST ». (Cahiers du Cinéma 271 et Pourparlers, Minuit).
Les deux films ont droit à une partie CD-rom avec des articles des Cahiers du Cinéma ( Jacques Rancière, Philippe Tesson et Jean-Michel Frodon) et deux suppléments : Prière pour refuzniks 1 (qui rappelle Les Carabiniers) et Prière pour refuzniks 2.
Eloge de l’Amour (2001), Notre Musique (2003) de Jean-Luc Godard, édité par Les Cahiers du Cinéma, diffusion Twin Pics.