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Nuit et jour à Saint-Géry du Comité de Quartier Saint-Géry

Publié le 15/03/2018 par Lucien Halflants / Catégorie: Critique

Saint-Géry, Bruxelles. Un des cœurs vieillissant de la capitale est en prise aux ruptures générationnelles qui opposent les résidents retraités à la fureur nocturne des rues festives. L'occasion pour le comité de quartier de prendre les armes cinématographiques.

Nuit et jour à Saint-Géry du Comité de Quartier Saint-Géry

Plus que le portrait d'un lieu, Nuit et Jour à Saint-Géry est le portrait d'habitants en proie au délitement d'un confort et à un mode de vie qui s'étiole face à une jeunesse hurlante. Pour le meilleur comme pour le pire. Le comité réalisateur du film, malin et plus tout jeune, tente tant que possible d'éviter les amalgames. Ainsi, les vieux cons, petits bourgeois ne le sont qu'un temps et ne s'arrêtent pas à ça et les jeunes cons vieilliront et ne s'arrêteront jamais à ça.

Cette jeunesse est quasi intégralement filmée comme une entité jamais personnifiée et ne donne pas de visages au bruit qui brusque tant les habitants des rues alentours. Une jolie pirouette pour éviter l'écueil du film de conflit générationnel et très brièvement, de classes. Ils évacuent ainsi un sujet intéressant. Peut-être simplement pas celui voulu par les réalisateurs. Ici, le cinéma se veut gentiment engagé, doucement partisan. Dans cette même idée, on sent un travail de montage qui transforme la matière pour la faire correspondre au propos recherché tout en gardant la finesse du réel filmé. En découle une sorte de lutte avec le médium presque touchante.

Paradoxalement, les plus belles scènes du film ressemblent à une forme d'étude animalière. Les habitants observent de leurs balcons - et à travers les prismes d'un capteur numérique - une faune qui n'est plus la leur. Caméra posée, cadre mouvant, lumière électrique citadine entrecoupés de panneaux indiquant le temps qui passe. La nuit qui s'écoule, les yeux des fêtards brillent au loin comme ceux des renards pris dans le feu des phares. Les animaux sont, ici, humains et le film - bien loin de tout questionnement spéciste - les observe dans un émouvant voyeurisme. Peut-être pas comme on pourrait l'entendre, car c'est surtout une allégorie de la non-communication qui mène au dégoût, au rejet, voir à la haine et à la vengeance, aussi courtoise soit-elle. Ainsi qu'aux propos parfois sectaires à la lourdeur grotesque, ici, souvent désamorcés par la bonhomie des protagonistes.

Dans cette même idée, ce plan de la Bourse qui trône sur les rues de Saint-Géry. Symbole d'une époque révolue dans un monde en mutation permanente, une nouvelle ère régie par la vitesse, l'urgence de la monnaie et des soirées qui s'achèvent bien trop tard.

On sent évidemment une compassion des cinéastes pour leurs sujets : eux-mêmes. Mais aussi une forme de désarroi face à un manque de discernement mièvre qui devient le leur et à une fuite de tous les risques qu'ils peuvent passivement représenter.

Par ailleurs, le film soulève quelques questions annexes intéressantes. La loi anti-tabac, par exemple. Le tabac en lieu fermé impose le dérangement et l'exposition aux problèmes de santé éventuels. Les fumeurs, dehors, imposent d'autres désagréments et des troubles de sommeil au voisinage. Histoire de santé, aussi donc, histoire d’aseptisation permanente, histoire d'individualisme de plus en plus féroce, histoire de problème que l'on envoie en touche du bout du pied. À travers les propos de l'une des protagonistes, le film questionne aussi le tourisme grandissant. Bruxelles, capitale de l'Europe, se verrait bien confrontée au même succès que ses métropoles voisines, ennuis y compris. Ses habitants, eux, craignent une radicale perte d'identité de leurs quartiers...

De cet étrange objet, entre proposition politique d'un comité de quartier et documentaire qui dépasse - peut être involontairement - son sujet, découle donc un portrait d'habitants affaiblis par la vie. Une vie qui fatigue dans un quartier furieux qui abritent, la nuit, ceux qui ont encore une profonde impétuosité à cramer. Portrait d'un monde qui change parce que l'on change avec lui - et c'est bien comme ça -, portrait d'un lieu qui vit, qui hurle et donc ne meurt pas, un lieu que certains aimeraient habiter et que d'autres aimeront, quoiqu'ils en disent, toujours.

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