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Oser la grève sous l'occupation Mai-Juin 1941 de Dominique Dreyfus et Marie-Jo Pareja

Publié le 13/05/2016 par Fred Arends / Catégorie: Critique

L'ouvrier, un héros oublié

Ce documentaire revient sur un moment important, mais pourtant passé sous silence, de l'histoire de l'occupation allemande en Belgique et en France. Il remet également en lumière les ouvriers-mineurs qui ont été les premiers à défier l'envahisseur lors de grands mouvements de grève en 1941.

Genèse d'une révolte

Oser la grève sous l'occupation Mai-Juin 1941 De Dominique Dreyfus et Marie-Jo ParejaAprès l'invasion de la Belgique et du Nord de la France en 1940, et malgré les dégâts dus aux bombardements et aux combats, les Allemands décident de relancer l'exploitation minière. En effet, en temps de guerre, le charbon est un enjeu majeur en termes de contrôle énergétique et de matière première servant à fabriquer les armes. Alors que les compagnies minières ont perdu dix pour cent de leurs effectifs – prisonniers de guerre transférés comme travailleurs forcés dans le bassin de la Ruhr - l'occupant allemand impose des conditions de travail dures et harassantes afin d'augmenter la production. S'en suivent des déficits en matière d'hygiène, de sécurité, de santé et d'alimentation qui vont, peu à peu, engendrer frustration et colère. Celles-ci finiront par exploser durant l'année 1941. Le documentaire alterne les témoignages émouvants et intelligents des protagonistes, ouvriers (certains adolescents à l'époque) appartenant au Front populaire, femmes de mineurs dont le rôle a été primordial dans la mobilisation, à des images d'archives judicieuses. Si certains défauts alourdissent le projet (musique décorative redondante, transitions pas toujours réussies – comme ces intertitres « tapés à la machine » pour « coller » à l'époque – images actuelles des régions concernées peu significatives), le contenu est réellement passionnant.

La réussite belge, la honte française

Les cinéastes découpent leur film en distinguant les différences de traitement par les autorités allemandes entre les mouvements de grève en Belgique et ceux dans le nord de la France. En Belgique, le mouvement débute dès janvier 41, spontanément, encouragé par les femmes et les communistes. De Cockerill-Sambre à Liège, la contagion sera immense et le 10 mai 1940, ce sont 65.000 ouvriers wallons (sidérurgie et charbonnage) qui sont à l'arrêt. Alors que les faits de grève sont interdits par les autorités allemandes et passibles du conseil de guerre, l'occupant va cependant accepter une délégation ainsi que bon nombre de revendications sociales (congés, allocations vacances, mais surtout, augmentation du ravitaillement alimentaire qui constituait la principale source de colère). Il faut dire que ce mouvement lui coûte deux mille tonnes d'acier par jour, autant de matière non transformable en armes et équipement.

En France, la situation est tout aussi calamiteuse, renforcée par l'inimitié historique entre les deux pays et un volonté de vengeance de la part des Allemands. Ce que rappelle judicieusement le film, c'est d'abord l'implication des autorités françaises dans la tentative de briser le mouvement. En effet, liés par le pacte germano-soviétique, les Allemands n'osent pas affronter directement les communistes, initiateurs et propagandistes de la grève. Ce sont donc bien les autorités françaises qui, en premier lieu, essaient de casser la contestation pour maintenir un pouvoir capitaliste aux mains de la bourgeoisie pétainiste (et même gaulliste).
Oser la grève sous l'occupation Mai-Juin 1941 De Dominique Dreyfus et Marie-Jo ParejaC'est dans cette perspective que le documentaire est le plus saisissant et ne va sans doute pas assez loin. La dernière partie est terriblement en phase avec l'actualité européenne et les relations malsaines des pouvoirs économico-politiques actuels. En effet, une fois rompu le pacte avec l'URSS, les communistes deviennent l'ennemi à éliminer. La collusion entre autorités françaises, Gestapo et armée allemande conduira à une répression horrible qui finira par atteindre également les Belges. Dénoncés par les patrons des compagnies minières, les activistes et agitateurs communistes seront massivement arrêtés. Ils seront les premiers Français déportés dans des camps de concentration. Revoir cette histoire, la comprendre, est salutaire à l'heure où nos acquis sociaux sont écrasés par le politique aux mains du pouvoir financier.

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