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Pacific de Angie Obeid

Publié le 19/08/2020 par Bertrand Gevart / Catégorie: Critique

Au cœur de Saint-Josse, commune populaire bruxelloise, se trouve une immensité de béton, la résidence Pacific. La réalisatrice Angie Obeid, résidente du 18e étage, écume les paliers pour recueillir bien plus qu’une image, des récits de vie qui se croisent, des rencontres, le souvenir des autres, au seuil du drame, celui du suicide.

Parce qu’elle est aussi nommée « tour des suicidés», la résidence Pacific n’est pas une tour comme les autres. Et la caméra pose sur elle un regard qui questionne son rapport à l’humain et aux interactions sociales. La réalisatrice pose sa caméra longuement et observe, d’appartement en appartement, dans un jeu subtil entre intérieur et extérieur, elle recueille les témoignages de certains résidents. Les langues se délient, les mots eux, restent violents, à l’image de la tour, close et vertigineuse. Avec cette fixité particulière, celle qui nous fait prendre conscience du temps, le film de la réalisatrice Angie Obeid est un tableau cinématographique où l’on contemple chaque recoin caché dans la pénombre du contre-jour. La voix des résidents aborde leur intimité, leur rapport à la tour, à l’existence, à la solitude, à ceux qui ne sont plus. Entre leurs souvenirs qui s’entrecroisent, émergent les problèmes de voisinage, le racisme ordinaire, les histoires d’une vie et de remords, jusqu’à ce que la caméra dans un mouvement long et lent, se projette enfin vers l’extérieur, contemplant la vue vertigineuse, comme une rédemption de la réalité matérielle. Les surcadrages confortent l’atmosphère anxiogène qui se dégage des intérieurs, enfermant les résidents sur eux-mêmes. Les plans très géométriques, voire modernistes dans certaines lignes sont les seuls lucarnes vers le dehors dont la contemplation, impossible pour les protagonistes, devient possible pour le spectateur. Lorsqu’une résidente nous raconte son lien de parenté avec l’une des personnes s’étant donné la mort depuis la tour, le film change de paradigme à propos de la tour elle-même et propose des opinions tranchées sur la question du suicide.

 

Finalement, le film Pacific est un travail d’architecture cinématographique où le dispositif s’oublie pour laisser place aux mots de ceux qui restent.

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