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Je ne suis qu’un corps de Éva Morin

Publié le 06/05/2025 par Quentin Moyon / Catégorie: Critique

Depuis 2019, le réputé festival du documentaire Cinéma du réel donne la parole aux jeunes cinéastes dans la section “Première fenêtre”. L’occasion cette année de découvrir le poignant Je ne suis qu’un corps de Éva Morin.

Je ne suis qu’un corps de Éva Morin

Si le titre pourrait évoquer le film d’animation de Jérémy Clapin, J’ai perdu mon corps, dans lequel une main anonyme traque le reste de son enveloppe corporelle, le sujet est tout autre chez Éva Morin. Avec Je ne suis qu’un corps, court-métrage de 22 minutes, c’est plutôt à la recherche de son âme, brisée par l’inceste et séparée de son organisme, qu’elle part.

Paradoxalement, dans le film, la silhouette d’Éva Morin n’est jamais visible que de dos. On navigue essentiellement dans son témoignage, par le biais de sa voix qui nous parvient en hors-champ, que par la complicité de ses deux amies Maxine Burlet et Julia Laubin. Deux acolytes précieuses qui, via des échanges face caméra et des mises en scène du passé, servent de balises à la cinéaste dans le récit de son traumatisme passé (l’inceste) et actuel (les réminiscences, mais aussi le syndrome de stress post-traumatique dont elle est victime, et qui impacte directement sa vision ou son ouïe).

Malgré “la perte de son âme” qui ne fait d’Éva plus “qu’un corps”, la réflexion se fait ici profondément intellectuelle. À la fois d’un point de vue sociologique, l’inceste étant renvoyé à son statut de véritable tabou dont personne ne parle et qui comme le rappelait il y a longtemps Claude Lévi-Strauss, se veut être un “préalable nécessaire à toute structuration des sociétés humaines”. Que d’un point de vue cinématographique, les trois femmes évoquant allégrement la création de l'œuvre en cours, dans laquelle l’absence de musique et le silence qui s’installe résonnent puissamment.

C’est finalement ce silence qui semble le mieux résumer le film. Comme le signale Éva Morin, il en dit long sur la réception de son combat au sein de son entourage à l’époque, et sur l’étiquetage de l’inceste comme un sujet toujours non recevable, non audible aujourd’hui dans nos sociétés occidentales. Je ne suis qu’un corps se fait alors, porte d’entrée, porte-voix, pour pouvoir enfin mettre des mots sur ces maux.

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