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Pierrot de Heusch, assistant-réalisateur

Publié le 01/12/1997 / Catégorie: Métiers du cinéma

L'assistant tous risques

S'il songe à la réalisation d'un quatrième court métrage, Pierrot de Heusch n'en reste pas moins attaché, dit-il, à son poste d' assistant-réalisateur qu'il assure depuis plus de vingt ans. Persistant "go-between" entre la réalisation et la production, il a navigué du court au long (Chantal Akerman, Peter Wooditsch) et de la pub au téléfilm (Pierre Joassin surtout).

Pierrot de Heusch, assistant-réalisateur

Cinergie : Quel est le rôle de l'assistant-réalisateur?
Pierrot de Heusch
: L'assistant-réalisateur veille au bon déroulement du film et assure un lien permanent entre le metteur en scène, le directeur de production et le reste de l'équipe. Son rôle est d'organiser le tournage de manière à permettre au réalisateur de se concentrer le plus possible sur les problèmes artistiques de son film.C. : A quel moment intervient-il?

P. de Heusch : Dès que la production a donné le feu vert et dispose du budget. Pour moi, la première étape est le scénario. Après lecture, je fais un dépouillement séquence par séquence. C'est un relevé minutieux de tous les éléments qui apparaissent dans l'histoire et apparaîtront donc à l'écran. Avec des surligneurs de couleur, je classe les décors, les accessoires, les figurants etc.
Si je prends le scénario de Hey, Stranger [il ouvre au hasard], je lis par exemple : "Bateau, intérieur et extérieur soir. Un bateau vogue sur la Voltava. Au loin, le coucher de soleil. Des touristes de toutes nationalités s'entassent sur le pont arrière. Orff, appuyé à la balustrade, jette un coup d'oeil à sa montre."
Soit un bateau - c'est le domaine de la régie qui va fournir le véhicule et le conducteur -, des touristes - figuration donc, traditionnellement prise en charge par le second assistant -, une montre - accessoire dont le style sera déterminé avec le réalisateur et la costumière -, et ainsi de suite. Sur la même page, je lis : "Un grand voilier surgit de la nuit et passe." Qu'est-ce qu'un "grand voilier"? Quelle taille, quel style, est-ce seulement une image, un reflet sur l'eau? Combien de plans prévus? J'essaie de préciser tout cela en premier lieu avec le metteur en scène. Après, si on a le temps, on redéfinit l'ensemble avec les postes principaux : cadres, costumes, maquillage,etc.

C.: Est-ce à ce moment qu'on établit le plan de travail qui classe jour par jour tous les éléments nécessaire au tournage (scènes et plans prévus, nombre de comédiens, de figurants, de lieux,...)?
P. de Heusch
: On peut faire une estimation du plan de travail qui est de toute façon constamment remanié. C'est important d'en établir une première version à ce stade par rapport aux dates, aux disponibilités et nombre de prestations des comédiens. Si la production a engagé un acteur qui coûte 200.000 francs par jour, il est logique d'établir un planning le plus précis possible. Mais puisque le plan de travail prend quotidiennement en compte les aléas du tournage, c'est un puzzle qui se construit, s'affine au jour le jour jusqu'à la fin du tournage. Celui de Mon amour de Pierre Joassin, a nécessité treize versions différentes.
Parallèlement, un repérage des lieux de tournage s'engage le plus vite possible puisque la localisation des décors est déterminante dans la planification. Si le scénario parle d'une maison donnant sur un jardin, on peut trouver un intérieur de maison qui corresponde exactement à ce que le réalisateur avait imaginé et un jardin qui se trouve à vingt kilomètres de là. Tout cela nécessite une organisation en conséquence.

C. : Quelle est la durée de cette phase de préparation?
P. de Heusch
: Dans le meilleur des cas, elle est de six semaines pour un long métrage. En fait, c'est souvent un mois, ce qui est vraiment très peu. Une bonne préparation fait gagner un temps considérable au tournage. Il y a des producteurs qui n'hésitent pas à donner du temps, cela a été le cas de Jan Van Raemdonck pour le téléfilm de Pierre Joassin, Y'a pas de lézard.
Durant la préparation, il faut anticiper tous les problèmes à venir car au moment du tournage, les imprévus sont inévitables et à ce moment là il faut pouvoir agir très vite.

C : Le tournage, c'est le lieu, parfois douloureux, de la confrontation entre l'imagination et la réalité?
P. de Heusch
: Oui... Pour prendre des exemples, sur le tournage du film de Marion Hänsel, Le Lit, on avait oublié à l'hôtel, à 50 kilomètres du lieu de tournage, la veste du comédien, qui devait être raccord. L'équipe était prête à tourner quand on s'en est rendu compte. On a tout de suite envoyé quelqu'un la chercher mais entre-temps on ne pouvait pas rester planté là. C'est à l'assistant à prendre les choses en main et à voir dans quelle mesure on peut mettre en place un autre plan, ce qui n'est pas donné d'avance. Pour prendre un autre exemple, sur le tournage du court métrage de Philippe Elhem, Une chambre pour la nuit, on tournait, en février, dans la campagne. Un matin, on s'est levé : catastrophe, il avait neigé! Impossible de raccorder avec les plans tournés la veille dans le même paysage. Ce jour-là, il était prévu de réaliser une scène d'accident de la route pour laquelle étaient présents les pompiers de la région. Que faire? J'ai demandé aux sapeurs d'arroser des parties entières de route et de vallons!
Autre précision : en fonction de la journée écoulée, du nombre de plans effectivement tournés, on établit la feuille de service pour le lendemain. C'est un récapitulatif des tâches des comédiens et des techniciens. Cela va du lieu de rendez-vous de l'équipe à l'heure de maquillage en passant par les horaires.

C. : Le studio, plus maîtrisable, serait-il le lieu idéal de tournage?
P. de Heusch
: C'est vrai dans la mesure où il nous protège du bruit, des variations climatiques et d'un certain nombre d'aléas mais moi, je détesterais m'enfermer pendant un mois et demi. J'aime bouger, c'est important. Il m'est arrivé de refuser un long métrage qui devait se tourner entièrement en studio.

C. : La place d'assistant-réalisateur rappelle que la fabrication d'un film est confrontée en permanence à deux contraintes : le temps et l'argent.
P. de Heusch
: Pour un téléfilm, lors d'une première évaluation d'un plan de travail, on arrive souvent à vingt-huit ou vingt-neuf jours de tournage. Mais en Belgique, les producteurs essaient souvent de ramener le calendrier à vingt-deux jours. Il y a quinze ans, la RTB consacrait trente-cinq jours pour un téléfilm.
Dans cette estimation intervient un quota prévu d'une dizaine d'heures supplémentaires. Et d'une certaine manière, il faut se débrouiller avec cette durée imposée, quitte à ce que le réalisateur et les scénaristes réduisent des séquences, modifient le dialogue, remanient la construction.

C. : Jusqu'où défendez-vous les intérêts du réalisateur?
P. de Heusch
: Mon rôle est de le protéger. Sans cela, il peut très vite s'éloigner de la direction de comédiens, des envies artistiques qu'il a, de la réussite de son film. Mais un moment donné, il y a des choix qui s'imposent, qu'il ne peut ignorer.
Au début de ma carrière, il y a vingt ans, je faisais des blocages sur la production, je voulais préserver avant tout la réalisation. Mais à certains moments, les impératifs budgétaires sont plus forts que tout : si le réalisateur veut une grue et que la production n'a pas les moyens, il faut savoir ce qu'on peut retrancher ou freiner dans les demandes de réalisation. Pour prendre un exemple, dans le dernier Joassin, il n'y avait un budget figuration que pour deux cent quarante personnes alors qu'on tournait dans une cour d'école pendant quatre jours ! En réalité, il en fallait deux fois plus! Dans un supermarché, on avait seulement vingt figurants pour peupler le champ. Avec le second assistant-réalisateur, qui a généralement en charge la direction et la mise en place de la figuration, il a fallu organiser les déplacements de la figuration dans le cadre, de telle manière qu'on ne ressente pas trop le "vide".

C. : Quel espace géographique occupez-vous sur le plateau?
P. de Heusch
: Je suis toujours près de la caméra, à côté et aux côtés du réalisateur avec lequel je cherche le maximum de complicité. Avant, je courais tout le temps, à la régie, chez les électros... Pierre Joassin m'a un jour engueulé en me disant : "Reste près de moi! Il y a des gens pour le faire". Si vous vous absentez ne fusse que vingt secondes, il y a des informations qui sont perdues. C'est donc très important d'avoir un deuxième assistant qui assure le relais avec l'équipe. Depuis trois ou quatre ans, j'ai la chance de travailler avec un second assistant formidable, Xavier Christiaens.

C. : Dans quelle mesure avez-vous connaissance du champ, du cadre, de la focale ou des mouvements de caméra?
P. de Heusch
: Par rapport au repérages, aux discussions de la veille avec le réalisateur ou le directeur photo, on a déjà des informations en suffisance. Pierre Joassin, par exemple, qui est un ancien monteur, est l'un des rares à faire des découpages extrêmement précis, avec des schémas qui reprennent pour chaque séquence l'emplacement exact de la caméra, l'ordre des changements de plans et d'axe, etc. C'est très important car la première question que les électros et les machinos me posent le matin quand j'arrive sur le plateau est : "Quel est l'angle mort?" C'est-à-dire quel est l'endroit où passent les câbles qui ne peuvent évidemment pas être visibles dans le champ.
Aujourd'hui, j'ai suffisamment assimilé tout ce qui concerne le suivi de la logistique pour pouvoir porter un regard sur la mise en scène. Il m'est déjà arrivé de suggérer telle ou telle petite chose au réalisateur mais c'est assez délicat malgré tout. La connaissance de la focale ou du cadre est importante. S'il y a figuration, il est impératif de connaître les bords champs ou de savoir si le directeur photo travaille au 20 ou au 100mm. Ce n'est pas la même chose dans la mesure où l'arrière-plan pourra être flou ou net et, selon le cas, le mouvement des figurants ne devra pas avoir la même précision.

C. : Vous avez également travaillé comme assistant pour la pub. Voyez-vous une différence de méthode?
P. de Heusch
: Les budgets sont souvent énormes et c'est une autre tournure d'esprit. C'est de la précision, de la miniature et les implications sont moins lourdes. Le réalisateur et le directeur photo ont une importance plus grande. C'est moins stressant. On est plus en recul.

 

Renaud Callebaut

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