Cinergie.be

Portrait de Pierre Lekeux

Publié le 01/10/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Portrait

Comédien et producteur, Pierre Lekeux a deux casquettes qu'il vient d'enfiler dans Strass, un long métrage de Vincent Lannoo qui a obtenu le label Dogma 95 et sera présenté en compétition au Festival de Namur 2001. Dans ce film qu'il produit et dans lequel il joue, Pierre Lekeux dévoile une partie de sa vie.

Réalité ou Fiction ? Allez savoir ? Lorsqu'il déclare à votre serviteur que le gros plan que nous lui consacrons ressemble au scénario du film, nous nous interrogeons : sur quelle toile sommes-nous ? Dans quel vaisseau spatial nous entraîne-t-il ? Quelle stratosphère va-t-il nous faire explorer?

Portrait de Pierre Lekeux

"Je suis né en 1960 sous le signe des Béliers", nous confie-t-il, le crane rasé comme un bagnard et le regard plein de malice derrière des lunettes cerclées (inévitablement, le cinéphile pense à Jacques Demy : "Nous sommes des jumelles nées sous le signe des Gémeaux", chantent, sur une musique de Michel Legrand, Catherine Deneuve et Françoise Dorleac). "Je ne suis pas né sous une bonne étoile, je viens d'un milieu marginal. Quand mon grand-père est mort, j'avais neuf ans, j'ai été très tôt orphelin, mon père étant mort et ma mère prostituée. Donc, dans Strass, il y a énormément de choses autobiographiques. Ma mère est vraiment morte assassinée et j'ai même, avant d'être disculpé, été accusé d'être l'auteur du crime. J'en parle pour étayer le propos du film..."

Nous nous inquiétons des similitudes avec Ma Part d'ombre, le texte-enquête sur la mort de sa mère de James Ellroy mais nous ne sommes pas à Los Angeles et Pierre persiste : "C'est la vérité, j'ai été très tôt orphelin. Après il y a eu ma mère, Anvers et la prostitution qu'elle vivait, que je ne vivais pas mais dont je recevais la violence quotidienne. Heureusement il y avait les salles de cinéma. Dès l'âge de dix ans j'y restais toute la journée. J'allais voir tout ce qui m'était permis de voir. Puis il y a eu les homes. Et là, comme tu t'en doutes, on n'est pas éduqué dans l'affection. J'ai eu la chance d'avoir deux éducateurs : Maximilien Fraile et Jean-Christophe Lamy, qui étaient cinéastes. Ils avaient un point commun : l'humour et l'analyse cinématographique. Ils nous emmenaient dans les salles à la découverte de films que nous n'aurions jamais eu l'idée de voir. Pour le reste j'avais aussi une formation de cuisinier, ce qui m'a permis de payer mes études à l'Université. J'y ai étudié la philosophie pour y découvrir le sens de la vie. Je ne l'ai jamais trouvé dans les textes philosophiques", ajoute-il , pince sans rire.


"Un jour, par hasard, mais vraiment tout à fait par hasard, je suis tombé dans une soirée sur Baba Meibirouk du théâtre de Banlieue. Et j'ai passé des mois à répéter un rôle qu'il m'avait confié. C'était un rôle autobiographique comme tous ceux que j'ai interprétés finalement. Celui d'un clochard violent. J'ai voyagé dans le monde entier avec cette troupe, y compris au Nicaragua. Puis j'ai vécu en France, travaillé Ivanov de Tchekov".
Soupçonné de matricide jusqu'à ce que la police découvre le coupable, Pierre Lekeux suit comme une thérapie les cours de l'Actor's studio, à Paris avec John Strassberg et Jack Waltzer. Nous sommes en 1992. Il donne des cours de théâtre durant trois ans en Pologne.

Lorsqu'il revient en Belgique, Manu Poutte lui demande d'interpréter Paul Radowski, le curé de La Danse des esprits, son premier long métrage. "J'ai utilisé des choses qui étaient en moi, je voulais la rédemption, j'ai eu la sensation qu'il fallait que j'expie et que je donne quelque chose aux autres." C'est de cette manière qu'il construit le rôle du curé. L'échec de La Danse des esprits, ressenti à la mesure de l'investissement qu'il a opéré non seulement comme interprète mais aussi comme financier, provoque une remise en cause. Du coup, il retourne à Paris travailler avec Jack Waltzer selon la méthode de l'Actor'studio. " C'était une sorte de dictateur mais en même temps il m'a fait comprendre qu'on pouvait maîtriser beaucoup de choses, se servir du travail organique. Ça m'a beaucoup aidé dans le travail d'improvisation de Strass."


Son sourire est rayonnant, heureux, christique. (Ne débordez pas du cadre, je vous prie ! - Je retranscris in extenso, Monsieur le Président, heu...Moui -- Ne vous trompez pas de bande, vous n'êtes pas dans un film de Scorsese ! Revenez au paradoxe du comédien). En effet. Dans la foulée des stages de Jack Waltzer, les Ateliers Face à la Caméra.
Puis, toujours dans l'idée de maîtriser son métier d'acteur, il fonde Radowski Films. "J'ai toujours eu l'impression que les comédiens étaient les gens les plus méprisés du métier et qu'il fallait leur donner une chance. En même temps, je me suis dit qu'à la tête d'une structure aussi complexe je n'aurais plus le temps de faire mon métier d'acteur. C'est là que je me suis fait piéger. Vincent Lannoo nous a entraînés dans l'aventure de Strass. Il nous a remis un questionnaire en nous demandant, beau défi, de dire la vérité. Je me suis dit : OK, je vais te la dire la vérité. D'autant qu'il me laissait être l'auteur de mon propre rôle, de mes scènes et de mes dialogues. Je ne devais pas m'identifier à mon personnage ; puisque cette distance m'est donnée je vais l'exploiter. En même temps, je me suis servi d'éléments vrais pour construire mon personnage. Eléments auxquels il ne croyait pas. Il le voyait comme un menteur merveilleux. Vincent Lannoo adore le mensonge, les illusions, les rêves. Il a fait intervenir une mère fictive pour brouiller les pistes."

"J'ai pris plaisir à être cruel, cynique, violent - le volume de la voix de Pierre baisse de plusieurs décibels -, parce que c'était en moi depuis très longtemps. D'autant qu'on me demandait ce jeu de massacre vis-à-vis de moi aussi. Pour certaines scènes de Strass, comme celle du viol, je me disais : on va y aller, je ne sais pas comment je vais me rattraper. Cette scène est immonde. Mais on l'a fait. La fille et moi on ne s'est plus parlés pendant le reste du film. On avait transgressé un interdit. Mais c'est aussi ça être acteur, pouvoir oser, pour faire vivre le personnage dans des zones inconnues. Ça intéressait Vincent, qui adore jouer sur la cruauté des personnages.

"Il y a une page de mon histoire qui s'est fermée avec ce film. Désormais si je joue un rôle au cinéma ce sera plutôt celui d'un mec qui a envie de donner des choses, comme dans Vivre de Kurosawa."

Pierre Lekeux affirme avoir découvert le métier de comédien par hasard. Nous nous permettons d'en douter à moins qu'un coup de dés n'abolisse l'inconscient.

Tout à propos de: