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Quitter la nuit de Delphine Girard

Publié le 21/02/2024 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Développant l’intrigue de son court métrage Une sœur, nommé aux Oscars en 2020, la réalisatrice belge Delphine Girard retrouve Selma Alaoui, Guillaume Duhesme et Veerle Baetens pour un thriller haletant.

Quitter la nuit de Delphine Girard

Si vous êtes familier d’Une sœur, la réalisatrice ne vous déstabilisera pas, ou bien peut-être. C’est en effet avec son propre film, presque au plan près et toujours aussi puissant, qu’elle débute ce premier long métrage. Un pari osé, dont elle récolte les fruits rapidement en captivant son audience, avant de prendre du recul pour développer son propos. Car plutôt que de choisir d’étendre son intrigue, risquant d’éroder la tension qui faisait tout le sel de Une sœur, Delphine Girard se concentre ici sur l’après, et développe des personnages touchants autour d’un récit dur, mais essentiel. Un film dont le rythme lancinant renvoie sans cesse à la réalité d’un calvaire qui se poursuit souvent longtemps pour les victimes d’agression sexuelle, comme c’est le cas ici. Comment revient-on d’une telle expérience? Quitter la nuit nous fait vivre sans filtre les procédures nécessaires, mais éreintantes par lesquelles doit évoluer Aly, elle-même brisée par la violence de ce qu’elle a vécu. Une œuvre qui doit énormément à sa comédienne principale, Selma Alaoui, qui livre dans ce rôle une prestation poignante faite de silences, de retenue et de moments bouleversants. Impossible pour elle de quitter cette nuit, celle où Dary et elle se sont retrouvés dans la voiture de ce dernier, et qui a pour Aly viré au cauchemar. Un cauchemar si violent qu’elle ne peut que le revivre, tout en tentant désespérément de s’en débarrasser alors qu’il lui colle à la peau. Une souffrance que partage à sa manière Anna, la policière qui a été le salut de la jeune femme, incarnée par une Veerle Baetens au jeu poignant.

Instillant le doute dans ses personnages comme auprès de son audience, Delphine Girard met en lumière l’impossibilité de se défaire d’un tel crime, autant pour la victime que pour l’agresseur, dont le déni ne fait que renforcer le sentiment d’enfermement dans lequel nous plonge la cinéaste. Car si cette nuit semble hanter les esprits d’Aly, Anna et Dary, elle formate également les images et les cadres, emprisonnant les protagonistes dans la pénombre et rappelant sans cesse le drame. Ce n’est que lorsque la femme se détachera enfin du fardeau qu’elle porte que la lumière retrouvera sa place sur son visage, tout comme les couleurs dans un film à la palette volontairement ternie, comme si elle avait été salie à jamais par un crime innommable. Mais même si Delphine Girard ne le nomme pas ni ne le représente, elle n’excuse pas pour autant cet acte ni n’offre de rédemption à son protagoniste. Pour quitter la nuit, Aly n’aura besoin que d’elle-même et de ses sœurs, celle que la fortune lui a offerte, tout comme la véritable.

Une œuvre forte, aux belles idées de mise en scène et qui se conclut en ode à la sororité, un message pour aller de l’avant, sans pour autant oublier ni pardonner.

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