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Reines, de Yasmine Benkiran, 2022

Publié le 05/07/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Cavale sans issue

Casablanca, Maroc. Zineb (Nisrin Erradi), incarcérée pour trafic de drogue, s'évade de prison et kidnappe sa fille, Inès (Rayhan Guaran), 11 ans, qui est à la garde de l’État. Devenue ingérable, la gamine doit être placée en maison de correction. Les choses se compliquent lorsque Zineb prend en otage une jeune femme, Asma (Nisrine Benchara), et lui ordonne de conduire un camion volé. Avec la police (et l’époux d’Asma) aux trousses, les trois femmes se lancent dans une dangereuse cavale à travers l’Atlas, ses montagnes de roches rouges et son désert brûlant…

Reines, de Yasmine Benkiran, 2022

 

 « Avec Reines, j’ai voulu sortir d’un cinéma arabe naturaliste et social », « bousculer les étiquettes, en m’amusant à faire d’un camion, généralement associé à un univers masculin, un outil d’émancipation féminine », déclare la réalisatrice, Yasmine Benkiran, dans sa note d’intention (source : site web du CNC - NDLR). En effet, avec ce polar féministe s’inspirant de road movies américains tels que Sugarland Express (de Steven Spielberg), Thelma et Louise (de Ridley Scott) et Un Monde parfait (de Clint Eastwood), elle s’éloigne radicalement de ce que l’on peut attendre du cinéma marocain. Inévitablement, le périple de Zineb, Asma et Inès sera émaillé de surprises, de déroutes, de bons sentiments aussi : entre la criminelle endurcie et la jeune femme que l’on devine persécutée par son époux naît, si pas une amitié, une complicité bâtie sur leur compréhension commune de la condition de la femme au sein de la société marocaine. Une société qui ne verrait sans doute pas d’un œil compatissant l’imagination et la fantaisie débordantes de la petite Inès, qui croit dur comme fer au conte de fées qu’elle lit en boucle, la malédiction de Kandisha et la légende des djinns...   

La cinéaste signe un premier film au charme indéniable, tout en posant un regard ironique et amusé sur les mœurs de son pays, notamment grâce à quelques répliques bien senties : « Le problème avec les Marocains, c’est que quand ils ont un problème, ils rejettent la faute sur un autre, qui rejette la faute sur un autre… et à la fin, on est tous dans la merde au lieu d’un seul ! », « Avec ses épiciers, ses pompistes et ses dealers, le Maroc a le plus grand réseau de renseignement au monde »… On retrouve cet humour espiègle dans les échanges entre Batoul (Jalila Talemsi) et Nabil (Hamid Nider), deux policiers que tout oppose (une jeune femme en début de carrière et un vieil homme à quelques jours de la retraite), mais aussi, notamment, dans sa description d’une société encore outrancièrement machiste (le vieux flic qui, malgré sa bienveillance, se croit supérieur à sa partenaire, le mari d’Asma qui estime qu’il est « de son devoir » de retrouver sa femme…). 

Mais c’est surtout dans ses portraits de femmes complexes que le film marquera. Entre celle, trop explosive et « moderne », qui use de son charme et de magouilles pour arriver à ses fins tout en créant le danger autour d’elle, celle qui se découvre un courage insoupçonné pour la première fois de sa vie, et l’enfant qui croit encore aux présages et aux miracles, naît une alchimie qui ne sera malheureusement que de courte durée, leur fuite en avant étant perdue d’avance. Dans une société qui ne leur a pas donné leur chance, nos trois fugitives deviendront néanmoins des lionnes pour survivre, traversant des paysages majestueux, mais arides et désespérément vides. Si le film est davantage une variation sur une formule qu’un renouveau, son mélange des genres (polar, comédie et même une touche de fantastique) et la justesse des relations entre les héroïnes ont de quoi tenir en haleine, jusqu’à un double climax tantôt violent, tantôt étonnamment poétique.

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