Cinergie.be

Rencontre avec Sebastian Moradiellos, directeur de casting

Publié le 22/02/2019 par David Hainaut et Tom Sohet / Catégorie: Entrevue

"Ma base de données se trouve plus dans ma tête que sur un ordinateur!"

Au César 2019, deux films belges (Girl et Nos Batailles) figurent en lice parmi les sept longs-métrages convoitant la statuette du Meilleur Film Étranger. Ces deux réalisations, récemment plébiscités lors des Magritte, ont fait appel au même directeur de casting, Sébastian Moradiellos, un nom désormais incontournable des coulisses du cinéma belge. L'occasion était donc idéale d'évoquer avec lui ce métier particulier, qu'il exerce depuis plus de six ans.

Cinergie : Trois films – en comptant Hannah - auxquels vous avez collaboré qui se retrouvent aux Césars, c'est plutôt gratifiant, non ?
Sébastian Moradiellos : C'est vrai, surtout quand on fait un métier dans l'ombre ! (sourire) Girl m'avait déjà permis d'obtenir en France un Prix de Meilleure Distribution en octobre dernier (NDLR: au Festival Jean Carmet), que j'ai partagé avec Ann Willems, qui s'occupait de la grosse partie flamande du film. Pour Nos Batailles, c'est grâce à la rencontre avec son réalisateur, Guillaume Senez, qui m'avait demandé de trouver les enfants du film, Basile Grunberger et Lena Girard Voss, nommée au Magritte du Meilleur Espoir. Comme je fais beaucoup de castings avec des enfants, j'avais l'avantage de déjà les connaître...

C. : Et en ce moment, sur quels projets planchez-vous ?
S.M. : Pour l'instant, je collabore à un projet anglophone qui va se tourner aux Émirats-Arabes Unis et au Maroc, tout en convoquant des comédiens pour les prochains films de Nabil Ben Yadir (Animals) et de Nicolas Vanier (Poly). Juste avant, j'ai terminé des castings pour les prochains films de Marc Fitoussi (Valses de Vienne), Rachel Lang (Mon Légionnaire) et Julien Leclercq (La Terre et le sang). Puis, il y a la deuxième saison d'Unité 42 qui occupe pas mal de temps, avec plus de septante rôles à caster. Les projets vont de l'Allemagne aux États-Unis, en passant par l'Angleterre, le Canada, le Luxembourg, la France et bien sûr la Belgique. C'est donc assez varié!

C. : Le premier travail d'un directeur de casting reste la lecture du scénario ?
S.M. : Lire le scénario oui, mais aussi sentir le réalisateur et savoir se mettre au service d'une personne pour dénicher le ou les perles rares, tout en suggérant des choses. Sur la première saison d'Unité 42 par exemple, j'ai proposé de mettre plus de femmes et de métissage, car je trouvais qu'il n'y en avait pas assez. Les créateurs ont eux-mêmes été d'accord. En fait, c'est un travail de communion avec le réalisateur, même si chacun raisonne différemment et a sa propre musique en tête : certains savent exactement ce qu'ils veulent, d'autres aiment se laisser surprendre. Parfois la rencontre fonctionne, parfois pas. Ou parfois encore, trois coups de fils suffisent ! Chaque projet sur lequel je travaille est très différent...

C.: De combien de personnes se compose votre «écurie»?
S.M. : Je suis indépendant et je travaille seul dans ma structure (NDLR: MCasting), mais j'aime bien être épaulé à l'occasion par des comédiennes (NDLR: entre autres Ingrid Heiderscheidt, Sophie Maréchal, Camille Voglaire...) qui m'aident à donner la réplique ou à trouver de nouvelles personnes. Je n'ai pas calculé combien de comédiens j'avais dans mon répertoire. Ce sera plus clair quand je lancerai mon nouveau site internet, prêt à 90% ! Mais les découvertes de personnes sont permanentes. Elles se font en voyant des films, des pièces, des spectacles (…) Sans oublier les élèves qui sortent chaque année des écoles (Conservatoire, IAD, l'INSAS...) et les comédiens flamands aussi, qui présentent l'avantage d'être quasi tous polyglottes. J'ai la chance d'avoir cette faculté de pouvoir analyser et «photographier» les gens, et j'aime faire travailler des personnes qui n'ont jamais tourné. Ma base de données se trouve plus dans ma tête que sur un ordinateur !

C. : Il y a trois ans, votre homologue Patrick Hella nous disait que pour un comédien, « la réussite, c'est 20% de talent et 80% de chance ». D'accord avec ces proportions ?
S.M. : Oui. Moi, je compare un casting à l'amour. Un casting, c'est chercher et trouver ce qui convient, mais c'est d'abord tomber amoureux de quelqu'un. Le cinéma reste particulier, car il a son propre langage et nécessite une certaine intelligence de jeu. Mais il faut une dose de réussite pour être appelé ou tomber au bon moment. Pour les comédiens, reconnaissons que c'est parfois émotionnellement compliqué...

C. : On imagine que vous devez être sollicité par eux en permanence, non?
S.M. : Oui, et j'avoue que ce n'est pas toujours simple à gérer (sourire). D'ailleurs, j'en profite pour m'excuser vis-à-vis de tous les comédiens à qui je ne peux pas répondre. Mais c'est un temps que je n'ai hélas plus : pour certains castings, j'ai mis une à deux heures par jour juste pour répondre à ceux qui n'étaient pas sélectionnés ! D'un autre côté, d'autres peinent à se vendre, mais j'incite toujours tout le monde à faire une bande-démo. C'est important.

C. : Le casting en rue : mythe ou réalité ?
S.M. : Moi, j'en fais… tout le temps. Il m'est déjà arrivé de trouver des rôles en allant chercher mon sandwich ou en allant au supermarché du coin ! Pour des demandes spécifiques, il m'arrive de passer un peu de temps dans une ville pour aborder et filmer des gens qui me semblent intéressants. Un jour, pour une recherche de bébés, j'ai même été suivi par la police, car j'abordais toutes les mamans avec bébés que je croisais en rue ! (rire) C'est un métier-passion où on ne s'arrête presque jamais, puisque les enfants ne peuvent être castés que les mercredis et les samedis. J'essaie quand même de garder les dimanches pour moi (sourire). Mais voilà, quand on travaille dans la création, si on regarde sa montre, alors c'est fichu...

C. : Vous êtes en poste depuis six ans, avec un CV déjà bien étoffé (Préjudice, Dheepan, Boule et Bill 2, Mon Ket, Mandy, Kursk...). Vous pourriez envisager ce métier sur le long terme ?
S.M. : En quatre ans, je n'ai eu qu'un mois de creux ! J'essaie de ne pas tout refuser, excepté peut-être les publicités, car c'est une toute autre façon de travailler, à moins que je connaisse bien le réalisateur. Et puis, avec les autres directeurs de casting (Patrick Hella, Michael Bier & Doriane Flamand, Kadija Leclere...) on s'entend bien, en se refilant même des tuyaux quand l'un d'entre nous galère sur un rôle. Et on fait pareil avec nos collègues flamands. Tout ça doit faire partie de la patte belge. Les choses sont moins réglementées qu'en France ou ailleurs, mais c'est une solidarité qui me plaît beaucoup. Donc oui, j'espère continuer. Et bon, j'adore tellement ces échanges avec les comédiens...

Site Internet: http://www.mcasting.be

Tout à propos de: