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Small Gods de Dimitri Karakatsanis

Publié le 01/01/2008 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique
Au fin fond des bois
small godsSélectionné dans la section de la Semaine de la Critique du Festival de Venise en septembre dernier, ce premier long métrage, écrit et réalisé par Dimitri Karakatsanis, magistralement photographié par son frère, Nicolas Karakatsanis, est un film autoproduit, né dans l’urgence de filmer (lire l’interview du réalisateur) dont l’aventure a duré deux ans. Et finalement, un road movie étonnant, une ballade électrique et crépusculaire à ne pas manquer. Small Gods s’ouvre justement sur une sortie de route : un accident, une voiture qui s’écrase contre un mur où un enfant trouve la mort. Puis un homme s’introduit dans un hôpital. On ne voit pas son visage, on le suit de très près, de dos. Il pleure sur le corps comateux de la conductrice. Il l’emporte dans ses bras. La profondeur de champ est parfois si courte, l’arrière-plan si flou, que l’on ne sait plus qui voit, dans quel point de vue on se glisse.
Où sommes-nous ? Un étonnant récit commence.

Il prend la forme d’un face à face entre une femme (la comédienne Steffi Peeters) qui raconte son histoire et un homme un peu bigleux (Dirk Van Dijck), qui fume, l’écoute, l’interroge et prend des notes dans une maison au fin fond des bois - et l’on est toujours, dans ce film, d’une manière ou d’une autre, au fin fond des bois. Celle qui parle raconte une histoire où elle sera inerte et silencieuse, fantomatique. Le film prend la structure d’une enquête, nous voilà entraînés dans son témoignage, comme cet homme venu chez elle tenter de comprendre ce qu'il s’est passé. Nous sommes à la place de l’avocat. On le comprendra plus tard. Dans cet hôpital, un jeune homme (l’icône de la nouvelle vague flamande, Titus De Voogdt) au physique d’oiseau nerveux, vient l’enlever alors qu’il ne la connaît pas. Il l’embarque dans son camping-car, l’emporte vers on ne sait où. En chemin, il récupère un autre corps fragile et blessé, une jeune fille (la nouvelle venue au cinéma, Louiza Vande Woestyne) blonde et boueuse, qu’il sauve d’un viol, un petit chat sauvage écorché, taciturne et mutique lui aussi. Une drôle de famille se recompose sous son aile. Personne ne se demande où l’on va. Sous des cieux immenses et vides, les paysages sont apocalyptiques, les routes cassées et boueuses, les terrains vagues abîmés, les usines désaffectées. La ville est loin. Sans repères géographiques, dans une temporalité chaotique où les flash-backs s’insèrent dans d’autres flash-backs, le film remonte le cours des événements, dévoile l’histoire de chaque figure de ce trio, et nous entraîne, peu à peu, vers le but ultime de ce voyage que seul David connaît, vers le passé d’Elena que le film déterre comme on déterre les morts. Un but terrifiant qui se révèle dans une scène magistrale et sanglante où il va s’agir, là, d’enterrer les vivants.
small gods
Small Gods raconte des meurtres, réels et symboliques, et des vengeances. Souvent terrifiant, il distille l’horreur aux quatre coins du film, entre respirations contemplatives et explosions de violences. Ce ne sont plus que les corps qui parlent. Et la beauté fulgurante des images qui captent les bruissements et les silences du monde (grâce à la maîtrise impressionnante du directeur de la photographie) révèle la topographique géographique et humaine d'un désert contemporain, où l’homme est, lui aussi, laissé à l’abandon.
 
« Jésus et Dieu sont morts, et les morts ne parlent pas », dit David. Dans ce portrait de notre monde, aux accents prophétiques et crépusculaires, la terre est béante et les hommes, galerie d'ombres furtives et effrayantes, sont les petits dieux d’aujourd’hui que le film croise, vers qui il remonte peu à peu, ceux qui sèment la mort et la terreur. Face à eux, d'autres, qui se défendent et punissent, endossent à leurs tours d'autres habits de Dieu. À nous de juger, donc.  Malgré des clés et des symboles parfois un peu trop lisibles, le film qui use de toutes les échelles de plans, de toutes les grammaires, de toutes les lumières, glisse peu à peu dans une ballade à la Terence Malick,  un monde nu, cru, rendu à l’état sauvage, un cinéma à la fois brut et cristallin, cinéma de l’humain rendu à lui-même et à la nature - un cinéma lui aussi sauvage.

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