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The boy is gone de Christoph Bohn

Publié le 15/04/2013 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Germanica Belgica

Le film démarre sur des plans extraits d'un film en 8mm (format carré). On y découvre un bébé, en noir et blanc, puis, en couleur (en Super 8, 1.33 kodachrome 40), un enfant qui commence à marcher sous l'œil attendri de son père.
Il entame ensuite le parcours autobiographique de Christoph Bohn, le réalisateur de The Boy is Gone avec des séquences d'animation (utilisant cette forme d'une mémoire subjective avec des images dessinées).
Dans son film, le souci de Christoph Bohn est de découvrir la vérité sur un passé que son père a refusé de lui transmettre par la parole. Pourquoi ? Est-ce lié au fait qu'on appelle les Eupenois des boches ?

image du film

Dans un canton de l'Est, à Eupen, on est au confluent de deux territoires nationaux, l'Allemagne et la Belgique. Ces deux pays se sont fait deux fois la guerre au XXe siècle (à l'époque de Charlemagne dont le corps gît à Aachen/Aix-la chapelle, il s'agissait d'un même territoire). Après la Seconde Guerre mondiale, le monde change. Eupen, Malmedy et Saint-Vith redeviennent belges. En 1969, le monde est plus "cool". Prométhée se dirige vers d'autres planètes. Le 19 juillet 1969, un homme, Neil Armstrong, est sur la lune. Ce jour-là, pendant que ses parents regardent cet exploit à la télévision, un enfant découvre une photo de son père en uniforme des jeunesses hitlériennes avec, sur le bras, le sigle de la croix gammée. Un choc. Carl, mon père, le héros de mon enfance, dissimule donc un passé dont il est honteux ? Silence jusqu'à la mort de Carl, enterré, en 2002, dans le cimetière d'Eupen.
Le fils interroge les témoins oculaires (les frères et les amis de Carl), consulte les archives publiques et privées pour comprendre le vécu de son père. 

image du filmIl s'agit de replacer Carl dans la collectivité, de comprendre le point de vue de plusieurs acteurs de ce passé. La classe d'école est révélatrice du climat d'une époque - les années 30 - où les jeunesses hitlériennes prennent les commandes de toute une génération germanophone.

Le sport, le culte du corps, est devenu l'esthétique à la mode du IIIe Reich. Pour les nationaux-socialistes, l'idéologie du corps est plus importante que l'esprit cher aux religions monothéistes. Carl, à 17 ans, s'engage dans une brigade de para commandos du Reich. En Hollande, des soldats canadiens le laissent en vie, vu son jeune âge.Pour offrir une narration à The Boy is gone, Christoph Bohn se sert d'une voix off (la parole à la recherche des traces du passé) et réalise un film de montage pertinent en se servant de différents angles d'approche. En somme, il établit des liens entre les continuités et les ruptures d'un passé volontairement oublié par son père. Il cherche à rendre visible une partie du non-visible (via l'animation) et à montrer la représentation du passé à travers des images justes (via des archives et des entretiens).  

L'oubli est une stratégie rusée, mais souvent inefficace, disent les philosophes. L'Europe de l'après-guerre, pendant la période d'Adenauer en Allemagne, a défendu une stratégie d'évitement, de mauvaise foi. Avec un père présent, mais qui refuse d'assumer son passé, on développe la révolte des fils. Le jeune cinéma allemand des années 60 (Fassbinder, Kluge, Farocki) a appelé cette époque de l'oubli systématique "le cinéma de papa est mort".
Un film à découvrir donc, dont le titre, The boy is gone (l'enfant est parti et pas encore revenu), est bizarrement dans la langue anglo-saxonne et non pas en latin, comme au temps de Charlemagne.

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