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The Sun and the Looking Glass – for one easily forgets but the tree remembers. Un film de Milena Desse

Publié le 18/06/2021 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Aux creux des traces

Du 24 au 30 juin prochain, entre projections et expositions, le Centre Wallonie Bruxelles ouvrira ses portes à l’avant-garde cinématographique belge grâce à un riche programme composé d’une vingtaine de films signés par des artistes désormais incontournables (Mehdi-Georges Lahlou, Sammy Baloji, Effi & Amir, Elsa Maury, Dora Garcia, Manon de Boer, pour n’en citer que quelques-uns). D’autres, réalisés par des artistes moins connus, sont des pépites à découvrir, rapportés d’ici ou d’ailleurs, et en l’occurrence, du FID où The Sun and the Looking Glass a été montré l’année dernière. Jeune artiste française basée à Bruxelles, Milena Desse, invitée à participer à une résidence d’artiste en Palestine, est allée scruter la terre d’Ein Qiniya, un petit village palestinien de Cisjordanie, occupé depuis 1967. Avec cet essai visuel, elle signe un film riche, envoûtant et profond qui questionne l’art de regarder et, du même coup, celui de témoigner.

The Sun and the Looking Glass – for one easily forgets but the tree remembers. Un film de Milena Desse

Entre poème cinématographique et expérience sensuelle, The Sun and The Looking Glass s’inscrit dans la temporalité douce et méditative de la contemplation. Dans un territoire de rocailles, la caméra fixe longuement le monde aride qui l’entoure. Avec une loupe, elle se focalise parfois sur des bouts de pierres, des objets rouillés et cassés, les vestiges d’autres époques disparues qui gisent encore là. Couleurs et contrastes font surgir, dans l’extrême grosseur des plans, des mondes cachés où le regard reconstruit et invente à mesure qu’il se perd. D’autres images, filmées en panoramique, argentiques ou digitales, déploient les paysages. D’autres images encore captent la vie d’un village foisonnante et luxurieuse, mais inscrivent dans le lointain d’un ailleurs silencieux ces traces d’une vie perdue que l’usage du 8mm cette fois fait basculer dans la catégorie nostalgique d’un avant révolu.

À d’autres moments, en plan fixe, délicatement, une main promène cette même loupe le long d’un bout de papier en gros plan. Son chemin, traversé par le soleil, fait surgir l’encre et des phrases qui, mot après mot révélé, racontent l’histoire de cette terre, celle d’un village de Palestine, celle d’un arbre deux fois centenaire, témoin des rires et des jeux des enfants d’antan, des chemins et des carrefours désormais perdus ou interdits. Dans ce film sans visage, sans voix ni dialogue, la parole se déploie lentement à mesure que le soleil la fait surgir. Elle tisse son chemin dans une intériorité silencieuse où, telle une rêverie, elle glisse sur les paysages, mélange et superpose les temporalités et les points de vue. Le son, sourd et vibrant, coud ce lent surgissement du récit dans l’épaisseur d’une sensualité totale et englobante, expérience presque physique d’un présent atemporel. De la même manière qu’une image se révèle grâce à la captation de la lumière, le film de Milena Desse fait lever lentement grâce à toute cette série de procédés formels et narratifs les fils d’une histoire tissée dans la réalité physique d’un territoire. Si la colonisation est une guerre de territoire, alors c’est ici la terre qui parle. Elle est ce corps vivant où s’inscrivent toutes les blessures et les cicatrices qui le sillonnent. Contemplatif, minutieux et délicat, The Sun and the Looking Glass met en partage une expérience de l’observation et de l’écoute qui vient peu à peu élaborer un témoignage. Mais dans ce précipité temporel où les images de tous les temps se rencontrent et se mélangent, dans ce surgissement des mots et l’accumulation des récits, il nous fait éprouver l’expérience d’un présent pur, si tant est que le présent soit ce moment où se précipite (au sens photographique) hier, aujourd’hui et demain, une temporalité désormais suspendue, éternelle comme la pierre et le soleil.

 

https://www.cwb.fr/agenda/cycle-25-arts-seconde

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