Dans Where do I belong? Koko Jordie utilise ex professo la simplicité des plans, le caractère réaliste, épuré et minimaliste des images. Ce documentaire, présenté lors des séances Jeunes Talents belges dans le cadre du Festival Millenium 2023, reflète ainsi sans détour, sans chichi, l’humanité, l’altruisme prônés à tout prix à travers une mère et sa fille issues du Bénin et vivant en Belgique.
Where do I belong? de Koko Jordie
Si l’on se penche d’abord sur la technique, certains plans larges de la ville dévoilent la vaste solitude de la jeune fille. Un plan plus réduit, plus boisé sur Bruxelles semble représenter l’apaisement de la mère, qui s’est démenée pour trouver sa place en Belgique. Les plans plus rapprochés permettent à la caméra de disposer d’un rôle de médiateur. La mère et la fille se confrontent malgré elles, en toute connaissance de cause et peut-être à l’excès, mais l’originalité de cette caméra semi-fictionnelle est incontestable. La réussite du film réside dans l’empathie qu’on ressent rapidement envers les deux intervenantes, dans l’affection qu’on ressent envers la relation mère/fille qu’elles nouent.
La nostalgie douloureuse, une saudade infinie, constitue un élément infaillible et crucial du film. Les photos, allégorie des souvenirs, jouent un rôle clé dans la représentation d’un passé à célébrer ou à enterrer. Le reflet des photos dans la fenêtre qui semblent à l’extérieur, dans l’obscurité la plus totale, symbolise la distance de ces femmes par rapport à un passé lointain au Bénin. Les deux langues maitrisées par les protagonistes, symbole d’un pluriculturalisme enseveli et glorifié, insufflent un dynamisme étonnant au documentaire et évoquent sans doute leur tiraillement interne, ces deux cultures qui doivent s’unir et s’opposer.
En définitive, la confrontation s’avère libératrice pour toutes les deux : la mère enseigne à sa fille de se battre coûte que coûte, d’aller de l’avant et la fille exprime librement ses lamentations. James Baldiwn, figure incontournable de la littérature antiraciste américaine, l’a formulé avec brio : il faut trouver un équilibre juste, subtil entre l’oubli et la réminiscence. L’apparente insensibilité et la sagesse de la mère face à l’hyperémotivité et l’égoïsme de la fille complexifient leurs échanges et permettent au spectateur de tirer des conclusions empreintes d’une profonde moralité. Il faut avoir la rage de vaincre, démontrer un courage à toute épreuve pour aller à l’encontre du système qui nous a malmenés.
Cerise sur le gâteau : ce court documentaire attire l’attention sur une question d’actualité brûlante, un problème grave à traiter. Comment améliorer le sort des immigrés ? Comment leur accorder une place qui leur revient de droit ? Comment peuvent-ils abandonner, chercher et trouver leur lieu d’appartenance dans un monde où beaucoup les traitent comme un agglomérat de persona non grata ? Voici les questions sous-jacentes de ce poignant huis clos qui dépeint une relation mère/fille teintée de rancœur et d’amour mis à rude épreuve. La foi inébranlable en un avenir meilleur et la profonde gratitude de la mère touchent le spectateur au plus profond de son âme. Elle est pleinement satisfaite de ses efforts déployés, de ce qu’elle a pu accomplir : elle a la nationalité belge, dispose d’un travail nettement mieux rémunéré qu’au Bénin et ses filles sont près d’elle. Une véritable ode à la liberté en images.