Métier : Réalisateur
Ville : 1180 Bruxelles
Province : Bruxelles-Capitale
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Reproduire une mémoire
Lorsque je me suis présenté à l'INSAS. je ne savais pas qu'on étudiait le cinéma, j'ignorais même qu'il y eût des réalisateurs. Le seul que je commençais à connaître, c'était Hitchcock, et peut-être, un peu, Elia Kazan. Hitchcock parce que tout le monde disait "il faut aller voir le Hitchcock". Donc on allait voir ses films. Et Kazan parce que j'avais vu America America vers treize ou quatorze ans, qui m'avait bouleversé. Tout d'un coup - on allait voir deux films le dimanche après-midi avec un seul ticket -, le cinéma devenait un moyen d'expression. Je me souviens, par exemple, dans America America, des fiançailles du jeune homme à Istanbul, qui m'ont bouleversé car elles ressemblaient à celles de ma soeur... Le cinéma pouvait donc reproduire une mémoire ! Ce fut la première fois de mon enfance, où je me suis dit que le cinéma pouvait être autre chose qu'aller simplement voir des muscles, le spectacle, etc. On ne savait rien du cinéma, sauf l'amour d'aller au spectacle, de se trouver avec des jeunes, de rire quand il faut rire et d'être en colère contre les méchants. La section de Nazareth du parti communiste d'Israël avait montré à la fin des années 50 quelques films d'Eisenstein, dont j'ai su depuis que c'étaient Alexandre Nevski et Ivan le terrible. Je devais avoir entre huit et dix ans, et je me souviens que c'était filmé de façon tellement inhabituelle que j'ai pleuré. Quand les chevaux s'élançaient vers nous, tout le monde se cachait. Ce n'était pas projeté dans un cinéma, mais dans une salle qui est devenue après une menuiserie. Nous vivions avec des schémas simples. On se disait que les pays communistes faisaient de très bons films, mais qu'il était normal qu'ils ne les montrent pas en Israël, terre d'impérialisme, etc. De sorte que lorsque j'ai vu pour la première fois dans ma vie, un film d'un pays "socialiste" contemporain de l'époque, en 1971, Tout est à vendre de Wajda, je n'en suis pas revenu : voilà un film qui parle de l'individu et d'une quête de l'identité qui n'est pas une identité collective - ce n'était pas un film sur les pauvres et les riches, la classe ouvrière, etc. Quand je suis arrivé à l'INSAS, les amis de l'époque m'ont dit : inscris-toi en cinéma. Moi je voulais faire le théâtre. Donc j'ai mis : cinéma et théâtre. Et puis on m'a demandé de me décider, cinéma ou théâtre ? Alors j'ai dit théâtre et j'ai reçu une formation de metteur en scène de théâtre. Mais en deuxième année, j'ai découvert le cinéma grâce aux amis qui faisaient leurs études en cinéma : Odeyn, par exemple, et d'autres qui sont rentrés en Tunisie ou en Algérie. Mais aussi des Français, des Belges. C'est grâce à eux que j'ai commencé à piger que le cinéma était un langage moderne très important, et pas simplement voir courir le héros contre les méchants... Et puis il y a eu très vite aussi le mouvement des films militants. Je me disais d'abord que le théâtre est plus élitiste et qu'avec le cinéma on pouvait toucher beaucoup plus de gens. Il restait à conjuguer la vision - politique, historique, sociologique, etc... - de ce monde qui devenait petit à petit claire dans ma tête avec ce moyen d'expression. C'est petit à petit, à partir de la deuxième année, que mon intérêt pour le cinéma a commencé à changer complètement.