Farah Hatoum, cinquante ans, vit à Nazareth, en Galilée. Sahar Khalifeh, jeune romancière de Ramallah, vit en Cisjordanie occupée. Toutes deux, tout en étant très différentes, sont confrontées à la fois à l’occupation israélienne et aux obstacles que vivent les femmes dans les sociétés arabes. C’était la première fois qu’un réalisateur palestinien filmait lui-même son pays, à l’intérieur des frontières d’Israël d’avant 1967.
La Mémoire fertile, Michel Khleifi, 1981
Dans La Mémoire fertile, Michel Khleifi explore avec délicatesse les trajectoires humaines de ces deux femmes palestiniennes. À travers leur quotidien et leurs perspectives divergentes, le film met en lumière leur lutte commune pour la liberté et la dignité. Au-delà des différences de parcours et de caractère, il tisse un récit sur les liens humains face à l’oppression et les défis d’une société patriarcale, célébrant leur résilience partagée.
Assez rapidement, le film nous force à contempler les paysages. La caméra s’arrête, balaye les montagnes. À la manière du vent qui souffle, elle se laisse emporter par l’immensité de ses terres. C’est ainsi qu’entre le paysage plus urbain de Sahar et plus rural de Farah, nous contemplons surtout leur environnement, comment il résonne en elles et comment elles le vivent. Pourtant, elles partagent la même résilience envers l’oppression qu’elles ont vécue. Ce qui nous rappelle, aujourd’hui, que même 40 ans plus tard, le film est terriblement d’actualité.
Nous vivons à travers elles le conflit que des millions d’autres habitent. De nombreuses scènes peignent cette relation très particulière entre le bourreau et la victime.
Une sorte de folie irréelle monte face à l’oppression dans le peuple, et certains sont prêts à admettre leur soumission, par fatigue et usure. Par exemple, le seul homme du ménage de Farah la pousse à vendre ses terres : si on ne peut pas la cultiver, qu’elle apporte au moins quelques sous. De son côté, Farah est butée à ne rien céder, croyant sincèrement que Dieu jugera et qu’il faut rester droit. Céder, ce serait donner à l’envahisseur. D’autres, comme Sahar, sont dans une révolte intellectuelle : ils la propagent dans leurs écrits, dans leur chant, dans leur parole, car il n’y a que ça qu’il leur reste.
Une tragédie de la terre. L’histoire d’un peuple qui n’a plus droit, qui ne peut pas et qu’on n’entendra pas. L’histoire de familles soudées mais qui s’abandonnent. Elle nous rappelle à quel point dans nos sociétés occidentales, nous, donneurs de leçon, nous avons à apprendre une grande leçon qu’elles ont déjà comprise : nous restons des humains avec un cœur et rien ne sert de s’enfermer, de partir en conflit, il faut vivre. C’est un film qui peint à merveille cette leçon d'humanité, mais aussi la gestion de cette tragédie qui perdure depuis tant d’années.
En se concentrant sur deux femmes, Michel Khleifi a cherché à atteindre cette parole humaine, cette résilience, qui serait sortie en discours impulsif de la bouche des hommes. Nous découvrons une multitude de fenêtres sur leur monde, sur leur quotidien, leurs pensées, leur vie pour doucement construire une tragédie humaine touchante.
Finalement, là où on imagine une citadine plus active physiquement, nous découvrons Sahar en constante contemplation et réflexion et Farah en action perpétuelle pour vivre le plus proche de sa terre. La Mémoire fertile est un film qui continuera d’être vu, car il a cette force d’avoir capturé l’essence d’un moment, la moelle impalpable du temps vécu par Farah et Sarah.
Le film est disponible sur la plateforme Avila (www.avilafilm.be)