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Noce en Galilée et Le Cantique des pierres de Michel Khleifi en DVD

Publié le 17/01/2013 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD

Zindeeq de Michel Khleifi est récemment sorti en salle, à l'Actor's Studio. Les éditions du Paradoxe sortent en DVD (Digital Versatil Disc) Noce en Galilée et Le Cantique des pierres, deux autres films de ce grand réalisateur, ancré dans le conflit israëlo-palestinien sans pour autant diaboliser les uns ou les autres.
Michel Khleifi, en suivant les sentiers plutôt que l'autoroute du cinéma, a expérimenté et créé une façon de présenter les histoires dans l'Histoire. Dès son premier film, La Mémoire fertile (le parcours de deux Palestiniennes), il diffuse un style qui mélange la fiction et le documentaire dans la maturation de la durée du temps. Le passé et le présent tels qu'ils se lient dans la saveur de la vie pratique des gens. (1)

Noce en Galilée

Noce en Galilée

Dans la première séquence, on découvre le Mokhtar, chef d'un village palestinien, qui vient parler au gouverneur militaire israélien pour fêter le mariage de son fils. Le problème est que ce village serait plein « d'extrémistes ». Les occupants ont donc installé un couvre-feu après des manifestations et décrété la loi martiale. Y-a-t-il un moyen de faire un compromis « à la belge » ? Et si le gouverneur militaire était l'un des invités à la noce ? Essayons. Des images défilent à travers la vitre de l'autocar à côté du Mokhtar. On parcourt, de l'extérieur, la route à travers le champ des oliviers et, à l'intérieur, on suit les pensées du Mokhtar, assis dans l'autocar, avant que la cérémonie n'ait lieu.

Songes autour du mariage d'Abel, son fils. Suit une réunion des citoyens du village autour de l'idée d'un mariage rassemblant autour de la table les occupés et les occupants. Peut-on dire que ceux-ci sont les bienvenus ? Que nenni, disent les guerriers. Pourquoi ne pas essayer, répondent les sages. La vie continue malgré les lois; aussi martiales soient-elles. À toi de choisir mon fils, dit le père : la mariée ou ton patriotisme.

Suivent de très beaux panoramiques lorsque Khleifi filme la préparation de la fête du mariage dans une cour du village. Que la fête s'organise et commence, et que le rêve soit accompli dans un espace que l'on se dispute.

 

« Mêlant l'architecture de l'espace à celle des sens, Khleifi a sans cesse fait monter la tension, écrit Antoine de Baecque, prenant en quelque sorte le contre-pied du film d'action où le drame se noue autour de destins individuels : ici, le drame s'organise à partir de l'univers collectif spatial et sensoriel. » (Cahiers du Cinéma 401).


Le Cantique des pierresLe Cantique des pierres

La violence de l'armée israélienne face aux manifestations dans les territoires occupés. L'Intifada nous confronte à des vies cassées à travers une Galiléenne et un Cisjordanien, deux amants que la prison et l'exil avaient séparés. Ils se retrouvent. Ils opposent l'amour à la haine. Le plan d'ouverture montre la fin d'une journée en Palestine, territoire occupé par Israël. La lumière disparaît avec le soleil, l'obscurité de la nuit commence. À l'intérieur d'une maison, des plans se succèdent, nous montrant une guitare, des tambours : le visage d'une femme qui rêve de son passé dans une chambre apparaît.

Elle se promène sur le toit, la nuit, et observe un territoire qu'elle a quitté pendant de nombreuses années. Le jour se lève, la réalité apparaît. La séquence suivante montre, en plans courts, successivement, des escaliers en pierre, des nuages dans le ciel, des vagues dans l'océan. En voix off psalmodiant, l'amant : « Tu ne verras que les miettes du temps. Tu ne verras rien. ». L'amante : « Je verrai les mutilés de l'âme. Je verrai la misère. Je verrai le refus, la résistance. » Plan d'une autoroute remplie de pierres. Les enfants d'une école dans une pleine de jeux. La femme embrasse le cou de son amant.
Lui : « De tout cela tu ne verras rien. Tu ne sentiras rien ».

Couloir d'hôpital. Médecins et familles des blessés circulent. Il poursuit à son amour exilé : « Tu ne tireras aucune leçon à moins de vivre ici. »

Ces frères du couple d'Hiroshima mon amour d'Alain Resnais poursuivent le Cantique des cantiques dans une chambre d'hôtel parmi les blocs de pierres de guerriers et de résistants. L'amour est plus intéressant que la haine.

Le plus augustinien des films de Michel Khleifi, né à Nazareth, et qui connaît très bien l'Ancien et le Nouveau Testament.
Serge Daney avait écrit sur le travail cinématographique de Michel Khleifi : « Dans la troupe lasse des cinéastes arabes qui se sont usés à concilier art et engagement, Michel Khleifi fait figure de petit dernier romantique, voire utopiste, qui pense qu'il faut filmer. Il lui a suffi de tenir bon sur un seul point : La fonction d'un cinéaste n'est pas de faire de la propagande, mais de poser un regard juste sur une situation et des personnages justes. » (Libération, 1987).



(1) Pour la thématique de la mémoire qui se souvient même de l'oubli, lire les Confessions d'Augustin : « Mais même lorsque la mémoire même perd quelque chose, comme il arrive quand même que nous l'oublions et que nous le cherchons pour nous en ressouvenir, où le cherchons nous, sinon dans notre mémoire. » Ch.XVI, livre 10. (Folio poche).
Sur la mémoire à court et à long terme, lire aussi les commentaires de Hannah Arendt sur la prose virevoltante d'Augustin. Latiniste, théologienne et philosophe elle précise : « La mémoire est la présence de ne-plus, et l'attente, la présence du pas-encore », in Le concept d'amour chez Augustin édité par Rivages/poche.

 

Noce en Galilée, Le Cantique des pierres de Michel Khleifi, édité et diffusé en DVD par les films du Paradoxe.

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