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Alpes de Naël Khleifi

Publié le 06/10/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Des images surgies d’un autre temps, que l’on semble voir grésiller comme ces vieilles bobines d’archives d’une guerre déjà octogénaire auxquelles, elles renvoient sans conteste. Pourtant, les premières scènes de Alpes, le dernier documentaire du réalisateur Naël Khleifi présenté en ouverture du Festival en Ville 2021, sont on ne peut plus contemporaines.

 
Alpes de Naël Khleifi

Recueillies et collectées par le cinéaste, ces traces d’un passé tout récent et loin d’être encore révolu, nous racontent le combat d’hommes et de femmes agissant à l’encontre des lois françaises pour venir en aide aux migrants qui tentent la traversée des montagnes à la recherche d’un avenir meilleur. Une réalité encore plus méconnue que celle des bateaux de la Méditerranée, mise en lumière par quelques affaires judiciaires aussi vite oubliées, mais néanmoins, toute aussi difficile. La montagne, comme les gendarmes et les systèmes de lois français, ne font pas de cadeaux.

 

Face à ces menaces conjointes, les activistes et les militants - car c’est bien dans une triste illégalité qu’ils agissent - se démènent pour récupérer, accueillir et accompagner les migrants vers la suite de leur périple. Un sauvetage de nuit comme de jour, que le cinéaste accompagne sans voyeurisme, avec une caméra captant les obstacles et les difficultés rencontrées par ces maquisards des temps modernes, et les personnes qu’ils réussissent à aider.

Et pourtant, pour la plupart, les Alpes ne sont qu’une étape, un obstacle de plus. Une barrière de neige, de glace et de rocs, symbole de loisir et d’émerveillement, mais pour eux terre inhospitalière et premiers contacts avec un régime politique qui ne veut pas d’eux.

Un sentiment que le film retranscrit en montrant le massif alpin sous un autre jour.

Car plus qu’un simple reportage bien ficelé, Alpes acquiert des airs de cinéma lorsqu’au cœur d’une nuit sombre, s’invitent des images crépusculaires de montagnes enneigées, où l’humain tente de se cacher pour échapper à ses poursuivants. Lorsque le temps s’étire à la recherche de ces dissimulés. Ou encore, lorsqu'apparaissent, dans le champ, les camionnettes de gendarmerie. Ou enfin, par les échanges que l’on entend du bout des micros des “sauveteurs”, et où l’on perçoit toute la détresse dans laquelle sont ces migrants, pour qui chaque rencontre peut être synonyme de dénonciation ou d’arrestation.

Une gageure à laquelle les protagonistes du film s’attaquent avec peu de moyens, mais avec beaucoup de volonté et d’engagement.

Sans travail spécifique sur les témoignages, ou face caméra trop didactique, Alpes se déroule plutôt comme l’une de ces journées "normales" d’une lutte difficile mais nécessaire, par ces enfants d’une nouvelle “Résistance” dans son sens le plus citoyen.

Le constat que dresse Naël Khleifi avec ce film est sans appel. La faillite d’un système politique, qui en vient à brimer ses propres citoyens lorsque ceux-ci agissent dans l’intérêt commun de l’humanité. Un point de vue incisif rappelant à juste titre les heures sombres d’une France où s’opposaient il n’y a pas si longtemps deux visions du monde, et où, comme le souligne tristement le cinéaste en citant un texte de René Char, résistant de la Seconde Guerre mondiale, l’Histoire poursuit ses répétitions sous couvert de l’hypocrisie légaliste d’un système politique déshumanisé.

 

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