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Carnet de notes à deux voix de Rajae Essefiani et Frédéric Fichefe

Publié le 01/07/2002 par Philippe Simon / Catégorie: Événement

Proposition de film sur l’histoire de l’immigration maghrébine en Belgique

De la beauté du métissage

Étonnant Frédéric Fichefet. Il nous avait récemment emballé et d’avantage avec ses Perdants n’écrivent pas l’histoire. Et voilà qu’il remet cela en nous proposant un film sur l’histoire de l’immigration maghrébine en Belgique sous forme d’un Carnet de notes à deux voix qui à nouveau est une vraie surprise dans le genre qui dérange et fait du bien.Mais cette fois il n’est pas seul à poser un regard neuf et qui secoue là ou d’ordinaire l’aventure documentaire se limite à baliser le connu.

Carnet de notes à deux voix de Rajae Essefiani et Frédéric Fichefe

Coréalisé avec Rajae Essefiani, pour ne pas dire copensé, covoulu, covécu, tant la complicité des deux réalisateurs est au centre de leur film, ce Carnet de notes prend comme prétexte une enquête semi journalistique que mène Rajae Essefiani sur ses origines marocaines et son présent de citoyenne belge, pour bouleverser les discours clé sur porte que notre société charrie trop souvent sur l’immigration. Véritable feu d’artifice pourfendant idées reçues et préjugés, le film de Fichefet et Essefiani s’invente au fur et à mesure des questions que se posent les deux réalisateurs. Questions d’identité, d’origine, de responsabilité sans doute, mais surtout questions de vie, questions plurielles qui dépassent leur singularité sans pour autant l’effacer. Partant de leur relation, de cet intime qu’ils partagent, ils en usent comme d’un tremplin pour inscrire leur démarche dans un contexte plus large, celui des rencontres que l’enquête de Rajae entraîne. Et ce journal à quatre yeux devient un voyage passionnant entre la dynamique affective de leur complicité et la mouvance subtilement orchestrée des rencontres qu’ils suscitent.


Car tout est là, dans leur rencontre et les rencontres que la caméra habite et occupe comme autant de vérités éphémères mais essentielles. Passionnant travail sur le lien, le film fait surgir et parcourt ce tissu fragile d’imaginaire et de réel qui nous lie et relie aux autres sans jamais souscrire au discours monolithique de celui qui connaît déjà les réponses. Au contraire, Essefiani et Fichefet multiplient les points de vue et trouvent une mise en scène à leur Carnet qui allie avec bonheur la métaphore poétique à la crudité du document pris sur le vif. Ce qui frappe est la variété d’écritures de leur palette cinématographique et l’intelligence avec laquelle ils en mélangent et nuancent les différentes couleurs. À titre d’exemple, il faut citer leur très belle illustration d’un arbre généalogique et comment celle-ci trouve son chemin jusqu’à cette extraordinaire interview de Roger Nols, la figure emblématique du Front National schaerbeekois. Pour bien faire, on devrait tout citer, car chaque séquence est une trouvaille, une surprise et s’intègre, trouve sa place dans un ensemble dont l’ingénieuse cohérence est exemplaire. Et si oubliant toutes ces qualités, il ne fallait retenir qu’une chose, ce serait certainement cette étonnante attention que les deux réalisateurs se portent et portent aux autres, tant il est rare au cinéma de voir une telle écoute, un tel soucis de la parole de l’autre. Et si la caméra  est parfois frontale comme dans les pires interviews, on ne sait de quelle magie usent Fichefet et Essefiani pour soudainement nous faire partie prenante de leurs rencontres qui deviennent alors comme autant de moments importants de nos vies.

 
Réussi d’un bout à l’autre alors qu’il se présente comme une étape d’un film en progrès, ce Carnet de notes est dès à présent un plain chant pour deux voix qui célébrant la diversité de leurs différences ouvrent à la beauté de leurs métissages. Et c’est l’une des plus captivantes réponses que l’on puisse trouver aujourd’hui aux problèmes que posent les conséquences de ce qu’il est convenu d’appeler l’immigration.

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