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Ceci n'est pas un lion, un documentaire de Jean-Pierre Roy

Publié le 10/09/2019 par David Hainaut / Catégorie: Critique

Hello Belgium

 

Il est peu courant qu'un réalisateur étranger – québécois, en l'occurrence – s'intéresse à l'épineuse question de l'indépendance flamande. Dans un documentaire hors-norme pourtant, à la fois caustique, passionnant et vulgarisé, Ceci n'est pas un lion est le fruit d'une entreprise aussi exhaustive que minutieuse, signé Jean-Pierre Roy. Difficile de rester indifférent.

Soyons francs. Début d'année, en le rencontrant pour la première fois – par hasard - à Bruxelles, alors qu'il nous annonçait peaufiner un documentaire sur l'indépendance flamande, on se demandait bien ce qu'un réalisateur canadien de 51 ans, jusqu'ici inconnu dans notre paysage, pourrait nous enseigner sur les questions complexes et redondantes autour de la politique belge. Mais énième preuve que l'objectivité reste une quête primordiale, la récente vision de Ceci n'est pas un lion nous a plus qu'agréablement surpris. Car, malgré les particularités liées à ce sujet délicat, c'est bien un coup de maître qu'a réalisé Jean-Pierre Roy, proposant un document précieux, rare et enrichissant. Le tout, grâce à un travail de sape long de deux ans, de surcroît entièrement fabriqué en solo.

 

Renseignements pris un peu plus tard, cet artiste, expérimenté depuis une vingtaine d'années dans son pays, s'est déjà illustré à travers des documentaires originaux (en musique, sur la justice ou déjà, en politique), d'ailleurs souvent primés. Mais ce n'est qu'en 2009, en accompagnant dans un festival l'une de ses œuvres (Questions Nationales, qui évoquait les similarités entre la Catalogne, l'Écosse et le Québec), que Roy a eu vent de l'existence de la Flandre. Avant de s'y intéresser de plus près, au point d'en consacrer un film. Nous étions alors en 2014, et la NVA venait d'accéder au pouvoir.

 

A posteriori, vu la densité du thème, la longueur – 2h20 – de cet objet se justifie par son traitement, exhaustif. Car de A à Z, cet aventurier désirait absolument tout cerner sur ce plat pays, afin de bien le comprendre. D'Anvers à Renaix, en passant par Bruxelles, Linkebeek ou Zaventem, en croisant une cinquantaine d'interlocuteurs, souvent connus du commun des mortels (artistes, hommes politiques, spécialistes de la question...), son brassage, large, s'est parfois effectué avec abnégation, comme lorsqu'il a enfin pu "cueillir" un Bart De Wever jusque là fuyant, alors que ce dernier bouclait l'un de ses meetings. Impressionnant.

 

Concernant le contenu, on se prend complètement au jeu de ce périple aussi drôle – parfois bien malgré lui ! - que pédagogique. Une construction habile où l'on rappelle que le nationalisme flamand trouverait ses origines dans une dénazification bâclée au terme de la deuxième guerre mondiale, où l'on explique que le mouvement flamingant actuel irait à contre-courant de l'histoire et où l'on montre des situations aberrantes propres à notre pays (bourgmestres nommés non-élus, minorités francophones stigmatisées...). Ou encore, on confirme que Bruxelles reste le principal frein aux desseins des indépendantistes. Édifiants et même inhabituels, certaines scènes et témoignages résultent souvent de la nationalité (neutre) du réalisateur, de son ton – volontairement – naïf, posé et en retrait, mais surtout, du fait qu'il se soit retrouvé systématiquement en intimité avec les interviewés, soit sans la moindre assistance technique – il a écrit, filmé, produit, réalisé et monté l'ensemble seul ! -, un aspect quasi-invisible à l'écran.

 

Malgré son enquête, le réalisateur a concédé à son terme n'avoir pas encore tout à fait bien ... compris le fond des réelles velléités indépendantistes flamandes. Car si le nationalisme reste un fer de lance pour certains partis politiques flamands, Roy démontre qu'il n'intéresse finalement qu'un proportion limitée de la population. Ce qui a d'ailleurs surpris Roy : "On verra ce qui se passe dans les années à venir, mais pour avoir connu deux référendums infructueux pour l'indépendance du Québec en 1980 et 1995, une manière de voter ne figurant pas dans votre Constitution, je ne vois pas très bien comment ils y parviendront. Comme on dit en Belgique, c'est un sacré bazar !". Enfin, si plusieurs éléments du film font suite à l'actualité courante, la force de cette vaste réflexion est qu'ils soient décrits, résumés et vulgarisés par ce regard étranger, original et même complice, Roy étant un indépendantiste québécois… autoproclamé !

 

Sans surprise, suite aux premières projections bruxelloises, Ceci n'est pas un lion jouit déjà d'un bon bouche-à-oreilles. De quoi satisfaire son instigateur, estimant faire des films pour nourrir le débat public. Celui-ci se poursuivra, puisque dans l'attente éventuelle d'une distribution au cinéma ou d'une diffusion sur petit écran, le film bénéficiera bientôt d'autres visions publiques, - au moins - à Eupen (au Parlement germanophone, le 29/9), à Charleroi (au Cinéma Quai 10, en présence de Paul Magnette, intervenant dans le film, le 14/11), à Liège (à l'Université, le 15/11) et à nouveau à Bruxelles (aux Écuries de Watermael-Boitsfort, le 22/11).

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