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Cheveux rouges et café noir de Milena Bochet

Publié le 15/11/2013 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Cheveux rouges et café noir se passe à Hermanovce, en Slovaquie, un village rom dont les ruelles sont composées de vieilles cabanes en bois et, dans le nouveau village, de rues désormais en béton, éparpillées au fond d'une vallée. L'obscurité et la lumière se partagent à travers des fenêtres ouvertes sur l'extérieur. Le quotidien d'une vie de famille autour des gestes séculaires, de leurs paroles et de leurs silences. 

photo du docu. Chevaux rouge, café noirDans le prologue, la caméra suit la photo de Vozarania qui, dans l'eau, suit le fil d'une rivière. Le film se structure autour de quatre femmes et de leurs enfants, les hommes étant soit en prison, soit en fuite. On montre aux spectateurs des photos. « Je tombais enceinte et lui allait en prison, je restais seule ». Mais le fil rouge est Vozarania, une grand-mère, une ancêtre disparue qui ponctue les séquences du film. Elle avait les cheveux rouges, une jupe rouge, des chaussures rouges et un voile sur la tête. Elle avait la vie dure, allait mendier chez les « gadjés » qui lui donnaient des patates, de la farine, des légumes. « J'ai vécu la même chose que ma mère », nous dit sa fille qui, elle aussi, a les cheveux rouges.

Vorazania transmet le passé, compose un présent qui ne cesse d'ajouter des éléments au temps qui passe et fait oublier les pertes. Visible en images, Vorazania devient un appel au non-visible, comme ces hommes dont les femmes ne disposent plus que de quelques instantanés.

Une séquence nous montre comment les cheveux noirs peuvent se transformer en cheveux rouges. Une jeune fille lave et coiffe les cheveux et les teint en rouge pour rester jeune. Vraiment ? On apprend que Vozarania était magicienne. Elle coupait trois cheveux rouges, les mettait dans le café noir, puis faisait boire Vozar pour qu'il tombe fou amoureux. Elle enchantait les hommes.

Dans Cheveux rouges et café noir, Milena Bochet filme la chronique d'un village qu'elle connaît bien puisqu'elle avait tourné Vozar dans le même village, il y a 11 ans. Sa réalisation élimine tout misérabilisme en nous montrant un quotidien particulièrement animé et ses zones d'ombres. Celles-ci, la grand-mère les appelaient le « mulo » (la mort), et ajoutait pour ne pas faire peur à ses enfants : « Ce n'est que de l'ombre et tu ne la vois pas ». La transmission, le monde qui change et urbanise les nomades. Un carton nous signale : « À Hermanovce, chaque année, 70 familles sont déplacées dans des bâtisses en béton ».

Le film de Milena Bochet est un documentaire qui montre la richesse humaine d'une catégorie sociale que le capitalisme essaie de renvoyer à un rôle subalterne. Les sauvages ne sont pas ceux qu'on prétend. C'est plutôt l'inverse…

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