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Christophe Taudière : le court sur France 2

Publié le 12/09/2007 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Il n’était pas avec les autres à Bruxelles. Mais un mois plus tard, il était annoncé à Cannes pour y faire son marché et assister à une table ronde en compagnie de ses confrères programmateurs. À l’occasion du festival, France 2 décernait par ailleurs et par son intermédiaire, un Prix au Short Film Corner, le rendez-vous des pros du court. Pour lui, un film de ce format est une aventure pas très éloignée de celle offerte par le  cinéma. Rencontre avec Christophe Taudière, responsable du court à France 2 et chargé de programme pour l’émission «  Histoires courtes ».

 

Cinergie : Connaissez-vous et appréciez-vous le court métrage belge ?
Christophe Taudière : Oui. Concernant le court métrage belge, j’ai surtout travaillé avec deux personnes. Arnaud Demuynck, (un réalisateur-producteur qui travaille dans l’animation et qui va passer au long sous peu), et puis, j’avais acheté Mon cousin Jacques de Xavier Diskeuve qui m’avait fait rire. Souvent, je remarque que les courts belges sont à la fois plus drôles, plus déjantés et plus radicaux que pas mal de courts français que je peux voir à peu près dans le même registre. Il y a quelque chose de très tonique dans ces films, il y a peut-être une spécificité belge avec un petit grain plutôt agréable qui me séduit. Après, évidemment, cela ne représente pas la majorité de mes achats : j’essaie de privilégier plutôt les courts métrages français. Mais il m’arrive de faire des petits tours du côté des Belges.

C. : La question est un flash-back. Quelle est l’histoire du court métrage sur France 2 ?
C.T. : C’est une très vieille histoire, le court sur France 2. Dès 1979, il y a eu une émission hebdomadaire consacrée au court qui s’appelait déjà « Histoires courtes ». Elle a été diffusée à peu près à tous les jours de la semaine, à des horaires différents mais généralement tardifs. Donc France 2 est fidèle depuis longtemps au format court.

C. : C’est en soi assez rare qu’une émission se maintienne aussi longtemps dans une grille. En dépit des horaires, il y aurait donc une tradition du court revendiquée par France 2 ?
C.T. : Oui, depuis 1979, il y a une volonté réelle de diffuser du court. Alors évidemment, la case n’est pas forcément la plus exposée, mais elle a le mérite d’exister. Et puis souvent, à la télévision, plus on nous place à des horaires tardifs, plus on a carte blanche et plus on est libre. On peut diffuser des choses qui sortent un peu de l’ordinaire, des programmes plus surprenants, plus originaux, et des narrations différentes de celles des téléfilms en prime time ou des séries américaines. Les courts métrages se prêtent à cette démarcation par leur côté laboratoire et inventif. Ce sont les narrations de demain. Et aussi les réalisateurs de demain…

C. : Pour orienter la sélection, des adjectifs ont été mentionnés pendant la présentation du prix France 2 : un court doit être, entre autres, surprenant, inventif, audacieux, exigeant. Existe-t-il pour autant une ligne éditoriale propre à « Histoires courtes » ?
C.T. : Mon prédécesseur Alain Gauvreau répondait : « oui, ma ligne éditoriale, c’est que je n’en ai précisément pas ». C’est une pirouette intéressante dans laquelle je m’inscris. Moi, je n’ai pas de critères définis par rapport à une histoire, une durée ou un genre.
Sur une chaîne généraliste comme France 2, on essaye d’avoir un panel assez large et de couvrir pas mal de genres.  Ça peut aller d’un film d’auteur assez pointu à une comédie efficace comme Mon cousin Jacques. Il n’y a pas franchement de ligne éditoriale déterminée avec des genres précis et des durées. En revanche, effectivement, je suis très sensible à d’autres critères : l’innovation, l’originalité et la qualité du travail d’écriture.

C. : La programmation d’« Histoires courtes » se positionne comme le « reflet polychromé d’une production francophone toujours en mouvement »[1]. Est-ce que cet adjectif fait partie de cette ouverture ?
C.T. : Oui. C’est un adjectif que j’aime bien. Polymorphe, polyvalent, polyester,… Non : polychromé ! Comme j’essaye d’avoir une ligne éclectique, ça signifie qu’on peut accueillir plusieurs couleurs, plusieurs genres, plusieurs formats, plusieurs propositions de cinéma. Mais peut-être que ce qui nous résume le mieux, c’est une recherche de récits contemporains, une narration contemporaine.

C. : Vous pourriez illustrer cette idée de "narration contemporaine" ?
C.T. : Il y a beaucoup d’exemples. Les Deux vies du serpent d’Helier Cisterne en est un : la narration parfois assez brisée, pas de dichotomie entre le bien et le mal. Bref, on ne prend pas forcément le téléspectateur par la main pour tout lui expliquer ! Pour moi, être contemporain, c’est accepter la complexité des hommes et du monde et de s’en faire l’écho d’une façon artistique. 

C. : Hormis cette idée de proposer du contemporain à un téléspectateur contemporain, qu’est-ce que l’émission cherche à offrir ?
C.T. : De l’innovation. Elle peut être représentée à plusieurs niveaux : l’histoire en elle-même ou bien la façon dont elle est racontée. Certains disent, pas spécialement à tort, qu’on a déjà raconté toutes les histoires, la différence devrait effectivement se concevoir dans la façon de les exposer. Mais je pense quand même qu’on est dans une période contemporaine très riche par rapport aux relations humaines. On peut encore y trouver de l’innovation…

C. : « Histoires courtes » touche combien de téléspectateurs ?
C.T. : L’audience fluctue entre 160 000-165 000 personnes (le niveau le plus bas) et 200 000 personnes, ce qui est bien quand on sait que certains longs métrages n’atteignent pas ce chiffre lorsqu’ils sortent en salle. L’audience peut monter jusqu’à 300 000 personnes. Elle dépend en fait de la concurrence qu’il y a aux mêmes heures et aussi de l’heure à laquelle on commence. Plus c’est tôt, mieux c'est !

C. : L’audience remarquée sur France 2 comme sur d’autres chaînes prouverait-elle que les cases de courts sont devenues, avec le temps, des rendez-vous télévisuels ?
C.T. : Effectivement, ces cases sont des rendez-vous réguliers. Le court métrage est très présent sur les chaînes (en tout cas sur la 2, la 3, ARTE, Canal sans oublier les chaînes du câble Cinécinéma, 13ème rue, …) avec des émissions spécifiques qui lui sont consacré, ce qui est pas mal dans le PAF. En France, on est quand même très gâté, parce que je ne suis pas sûr que dans d’autres pays européens, il y ait autant d’heures réservées au court métrage. Malgré les bémols qu’on peut avoir sur les horaires et sur les expositions de ces émissions, cela veut dire que le court métrage n’est pas du tout abandonné.

C. : Du côté de votre chaîne, le soutien au court peut se concevoir aussi par le budget de l’émission (augmentation de 50% depuis janvier 2006). Quelles en sont les conséquences ?
C.T. : L'urgence était, par rapport à l’économie du court métrage, d’augmenter les tarifs d’achat et de préachat. On a d’ailleurs surtout mis l’accent sur les tarifs de préachats pour aider les productions françaises et francophones qui en avaient bien besoin. L’augmentation du budget n'a pratiquement porté que sur le doublement de ces prix. Maintenant, c’est 1.000 euros la minute, jusqu’à 30 minutes qui est un plafond. Il est évident que c’est un effort conséquent pour une chaîne, mais tout de suite, cet argent a été mis au service des productions afin qu’elles puissent être tournées dans des conditions professionnelles. C’était ce qui était en jeu aussi : une demande gouvernementale pour professionnaliser le milieu du court métrage et être en règle avec les lois du travail (payer tout le monde, techniciens comme acteurs), ce qui n’est pas toujours le cas.

C. : En télé, il y a encore beaucoup de courts métrages qui s’insèrent entre deux programmes sans bénéficier de présentation et donc de mise en perspective. Est-ce qu’en prenant le temps de décoder un film et d’interviewer ceux qui en sont à l’origine, on n’offre pas une forme de bonus à destination d’un public initié ou non ?
C.T. : Tout à fait. Notre spécificité, c’est de diffuser systématiquement une interview du réalisateur ou de la réalisatrice après le film. Quand on fait les interviews, on prend volontairement le temps de parler. On demande au réalisateur et au producteur de nous raconter leur entreprise parce qu’à chaque fois, c’est une aventure de faire un court métrage.
L’interview, diffusée après le film, est ensuite montée et réduite à 5-6 minutes avec des extraits antenne : c’est beaucoup pour illustrer les propos des réalisateurs.
Je pense que c’est important d’accompagner un court métrage d’un minimum d’explications sans être ennuyeux, et de faire découvrir aux téléspectateurs comment ça se passe. Parler de la façon dont on fabrique un film, c’est aussi parler de cinéma.

C. : Le cinéma a beaucoup évolué ces dernières années. Quels changements vous ont le plus interpellé ?
C.T. : Je me suis rendu compte que, depuis 10-15 ans, le court métrage, s’est beaucoup professionnalisé. À une certaine époque, il n’y avait que l’IDHEC comme école de cinéma (avant qu’elle ne devienne la Fémis). Maintenant, il y a un développement d’écoles et d’idées d’écriture de scénarios, de cinéma, même à l'université : tout cela participe à une meilleure connaissance de l’écriture cinématographique. Les progrès les plus significatifs pour moi demeurent toutefois les progrès techniques parce qu’il y a une vingtaine d’années, il y avait des choses vraiment très amateurs qui tournaient encore en salle. Maintenant, c’est beaucoup plus difficile de voir ça vu que l’économie du cinéma a changé.

C. : Cela vous arrive de ressortir ces anciens films ?
C.T. : Oui, de temps en temps. Je pense qu’il ne faut pas en abuser parce que personnellement, j’essaye de donner la priorité aux films récents, à la nouveauté. Mais par moments, on s’autorise à revenir sur les anciens courts métrages de Patrice Leconte, de Sam Kermann, … Voilà, c’est marrant.

C. : Pour vous, le court peut-il se définir ou non ?
C.T. : La définition, c’est du cinéma. Que ce soit court ou long, moi, ce que j’aime dans le court métrage, c’est que ce soit avant tout du cinéma. Voilà, après pour La Jetée de Chris Marker, il se fait qu’en durée et en métrage de bobine, c’est du court mais pour moi, c’est du grand cinéma. Un chien andalou de Buñuel, c’est un court métrage mais c’est également un film.

C. : On pourrait être tenté d’accoler plein de choses au mot cinéma mais dans le court, il reste une forme de curiosité, une liberté, une chose un peu impalpable…
C. T. : Oui, c’est important, ce que vous dites par rapport à la liberté. Pour moi, c’est aussi un critère. Le film qui a été récompensé aujourd’hui [Comme un chien dans une église de Fabien Gorgeart : Prix France 2/Short Film Corner], c’est un film libre parce que son réalisateur s’est autorisé à prendre des risques à beaucoup de niveaux. On sent une énergie, une liberté ; c’est vrai que j’y suis sensible. Après, on peut effectivement dire que le court métrage c’est la liberté d’expérimenter des choses. Oui, c’est ce que ça devrait être le plus souvent… En tout cas, ce sont les courts métrages que je préfère : ceux qui contiennent de l’innovation, de la fantaisie. « Étonnez-moi, Benoît, étonnez-moi ! »

Histoires courtes : trois mardi par mois, en troisième partie de soirée

Le site de l’émission : http://commeaucinema.france2.fr/cac_histcourtes_index.php3

[1] Fascicule de présentation de l’émission.

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