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Cineke, un lieu de vie et de création

Publié le 16/04/2021 par Bertrand Gevart et Constance Pasquier / Catégorie: Entrevue

Au détour d’une échappée entre deux confinements, nous avons rencontré Sonia Ringoot et Aurélia Balboni qui font vivre l’Atelier Cineke, un lieu de vie, de rencontres, d’échanges, de créations sonores et cinématographiques. Cineke est né en 2014, de l’envie de faire des ateliers cinéma et radio accessibles à tous. L’objectif de cet atelier est de faire découvrir la richesse de l’écriture sonore et d’entreprendre avec les participants un travail qui questionne la démarche documentaire. Nous sommes entrés chez ces artisanes du son, bercés par l’ambiance, et emportés par leurs paroles pour nous sensibiliser à l’écoute et le pouvoir narratif du son.
Sonia Ringoot a suivi une formation à l’IAD en réalisation. Depuis sa sortie, en 2005, elle se consacre principalement au documentaire radiophonique ainsi qu’à l’Atelier Cineke. Elle alterne entre la réalisation doeuvres cinématographiques et sonores. Aurélia Balboni est également issue de l’IAD en section montage. Depuis sa sortie, elle s’est consacrée à l’image et au son, tant en fiction qu’en documentaire. Elle partage son temps entre le travail de montage filmique ou audio et la réalisation de ses documentaires sonores.

Cinergie : Pouvez-vous me raconter votre rencontre avec le son ? Comment êtes-vous passées de l’image à l’atmosphère du son ? 

Sonia Ringoot : Lors de mes études, j’ai réalisé des recherches sur le son. La vraie rencontre s’est déroulée avec le documentaire En quête de terre. J’ai rencontré Aurélia car je cherchais quelqu’un pour m’aider à monter ce documentaire radiophonique qui raconte l’histoire de ma famille : la migration d’agriculteurs belges vers la Normandie dans les années 1930 pour occuper des fermes. Ce parcours a d’abord débuté par l’image pour ensuite glisser vers le son, et, enfin, s’est prolongé dans un livre. Je me suis autorisée à faire un documentaire audio. J’ai ressenti une liberté avec la création radiophonique. Lorsque j’ai débuté ce documentaire, j’avais posé ma caméra, mais paradoxalement je n’arrivais pas à filmer. Alors j’ai mis le cache sur la caméra pour enregistrer que le son. Cette expérience m’a vraiment beaucoup parlée, notamment sur la question de la transmission. Le son, c’est aussi un dispositif léger et plus aisé à manier. On peut travailler seul sans s’encombrer de matériels ou d’une équipe, ça influe évidemment sur la production, la rencontre avec l’autre, et l’atmosphère qui se crée. 

Aurélia Balboni : Ma rencontre avec le son s’est faite lorsque j’ai voulu raconter le quotidien de ma mère qui souffrait d’une maladie neurodégénérative. Instinctivement, c’était avec le son que je devais faire cela. J’ai enregistré la majeure partie du documentaire. C’était une démarche qui permettait autre chose que de poser une caméra. Je pouvais la suivre dans ses déambulations incessantes dû à la maladie et être au plus prêt de son corps et de ses mots dont elle perdait lusage peu à peu.

 

Sonia Ringoot et Aurélia Balboni ©Constance Pasquier/Cinergie

 

C. : Est-ce plus « facile » de réaliser un documentaire audio ? 
A.B. : C’est surtout plus simple au niveau du dispositif mais aussi au niveau du financement. Lorsque l’on s’engage sur une création sonore, on peut se présenter seule, sans production, et être soutenue par le Fond d’Aide à la Création RadiophoniqueCependant au niveau du processus créatif, il y a évidemment des connivences avec le documentaire cinéma. Il y a des repérages, une mise en scène, un montage, des prises de notes. Ça peut être très long, surtout au niveau du montage. 
S.R. : La question de la mise en scène est essentielle dans la création sonore et le documentaire audio. Ce que crée d’abord le son, c’est la distance et la pudeur nécessaire. Lorsque j’ai une idée, je la pense d’abord en son, ensuite je me demande à quoi va servir l’image. Il y a aussi la question du point de vue narratif qui est l’épicentre de notre réflexion car l’auditeur doit être tenu en haleine sur la durée, lui procurer des images avec le son, des sensations, des émotions, un paysage. 
A.B. : Oui, d'autant plus que l'on pense également nos créations comme des films. Nous sommes très peu dans la radio témoignage et brute dans laquelle on arrive, on enregistre et on repart. Pour nous, c’est important de mettre en scène un son, penser un décor sonore, penser à un espace, une écriture par le son.

 

C. : Comment arrivez-vous à donner cette puissance narrative avec le son, comment travaillez-vous la mise en scène sonore ? 
A.B. : Nous avons une prise de son particulière car nous utilisons un enregistreur stéréo auquel nous ajoutons un micro mono. Ça influe sur la prise de son dans laquelle on enregistre aussi notre propre voix. On essaie de créer le décor d’entrée de jeu, mais une grande partie se fait au montage afin de recréer l’univers, par l’ajout de sons seuls.  

 L'atelier Cineke

 

C. : En terme d'écriture, c'est similaire à un scénario de cinéma ? 
S.R. : Oui c’est similaire, on utilise le même langage, les mêmes codes, sauf qu’on écrit du sonore, on décrit ce que l’on va entendre et non pas des images. 

 

C. : La création sonore connait un essor sans précédent. Quel état des lieux peut-on faire en Belgique ? 
A.B. : Il y a beaucoup de créations sonores en Belgique, de radios francophones, de festivals francophones également. Beaucoup de pièces sonores belges sont sélectionnées et primées. Les auteur.ice.s indépendant.e.s foisonnent en Belgique, tant en fiction qu’en documentaire.

 

C. : Quelle est la genèse de la création de l’Atelier Cineke ? 
A. B. : Avant la création de Cineke, je dispensais des ateliers cinéma au Centre Multimédia avec Elisabet Llado, Baptiste Janon et Héléna Réveillère. C’était des ateliers cinéma avec des adultes amateurs, j'intervenais comme monteuse. Ces ateliers étaient très intéressants sur le plan artistique et créatif ainsi que sur le plan humain. Les participants rêvaient de faire du cinéma, de toucher cet élan créatif, et ça nous apportait pleins de choses. Malheureusement l’asbl a perdu ses subventions. Nous avons décidé de continuer les ateliers en créant Cineke. Sonia a rejoint l’équipe et nous avons lancé l’atelier radio.

 L'atelier Cineke

 

C. : Comment se déroule l’atelier ? 
S.R. : L’atelier prend forme en fonction des profils des participants. Par exemple, Laura, une participante, avait déjà acquis une matière filmée conséquente dans les camps à Calais. Elle avait fait la démarche d’une réflexion pour passer de l’image au documentaire sonore. D’autres viennent avec une idée, comme Émilie qui a suivi une caissière de son quartier. Nous aimons nous adapter aux participants, les accompagner dans leurs démarches, décloisonner les cadres, et suivre les intuitions et les désirs des participants. 
A.B. : Nous apportons également une « base technique », une initiation au montage, au mixage, à la prise de son. En regard du nombre de participants, nous travaillons aussi par groupes. L’objectif est de les accompagner dans leurs idées de manière professionnelle et d’accompagner le projet jusqu’à la diffusion en festival.

 

C. : Peut-on parler d’éducation au son comme on parle d’éducation à l’image ? 
S.R. : Lorsque l’on décortique le son et l’image, l’on se rend compte des processus de fabrication. Je pense que beaucoup de choses s’apprennent au montage. Mais en terme d’apprentissage, il y a celui de la distance et de la pudeur. Nous sommes moins happés et plus critique face à un son qu’à une image. 
A.B. : Ce que nous revendiquons dans la démarche d’une éducation au son, c’est l’idée de mise en scène. Le son n'est pas juste un medium, il ne suffit pas de faire une interview et de la laisser comme telle. Un son, ça raconte quelque chose, parfois plus qu’une parole. L’éducation au son, c'est aussi se dire qu’il a une force et une puissance, tout autant que le mot pourrait le dire. On peut réapprendre à voir avec l'image, mais on peut réapprendre à voir et à écouter avec le son. Tout cela, c'est aussi important de le transmettre lors de nos ateliers. Dire autrement, et essayer de faire dire autrement et de le transmettre autrement. Au sein de l’atelier, nous essayons de transmettre ce goût pour la recherche du son, mais aussi de la rencontre avec l’autre, avec la personne que l’on va mettre en scène, de provoquer des situations.

 

C. : Comment travailler sa modalité d’écoute, redevenir attentif aux sons ? 
S.R. : Toute la difficulté tient en cela. Je pense qu’au commencement, ça doit partir d'une bonne connaissance de la personne ou du sujet, de passer du temps dans le lieu aussi, savoir ce que la personne aime faire, avoir les outils pour qu’elle fasse des choses qui nous paraissent intéressantes. Actuellement, je travaille sur un film d’une personne que je suis sur 12 ans, je peux rentrer dans une mise en scène très naturelle. C'est le temps qui joue en faveur du son. C'est le temps qui joue en notre faveur.

 

 L'atelier Cineke

 

C. : Comment faire des repérages en son ? 
A.B. : Je repense à Émilie qui a travaillé sur une caissière de son quartier lors de notre atelier radio. Elle la fréquentait depuis des années. Elle est allée l’enregistrer une première fois, ensuite nous l’avons recadrée techniquement. Mais elle s'est rendue compte du besoin de la proximité de la voix. Finalement, les repérages en son, ce sont des aller-retour successifs, car nous n’avons pas accès de manière immédiate à la matière comme en image.

 

C. : Le son a-t-il une autre incidence sur les rencontres ? 
S.R. : Le dispositif est très important. La première réflexion est celle de la technique, de la mettre au service du documentaire radiophonique. Il faut tendre vers un laisser aller du dispositif, qu’il soit discret. Le dispositif du son a une autre incidence que celui de la caméra. Dans un documentaire radio, le dispositif léger, discret, accélère les rencontres. Avec un micro, les personnes se livrent beaucoup plus facilement, alors qu’avec une caméra je pense qu’il faut plus de temps pour maitriser le sujet mais aussi le cadre. L’approche sonore, à l’aide d’un micro, permet de faire des choses beaucoup plus intimes. Pour moi, le son est vraiment le médium de l’intime.

 

C. : Vous organisez également des initiations au cinéma ? 
S.R. : Actuellement, nous travaillons plus sur les ateliers sonores que sur les ateliers cinéma. En cinéma, nous travaillons principalement par groupe, alors que dans les ateliers « son » il s’agit de projets individuels. Dans les ateliers cinéma, nous privilégions la technique alors qu’en son, nous nous attachons à développer la narration du sujet traité.

 

C. : Comment voyez-vous l’avenir pour Cineke ? 
S.R. : Ce que nous apprécions particulièrement, ce sont les échanges, parler des questions de point de vue et d’approches. Avec les ateliers sonores, ces questions sont plus rapidement développables avec les participants. Ce qui nous importe, c’est de servir la vision de ceux et celles qui participent afin de pousser le projet en qualité professionnelle. Certains ont été pris dans des festivals dont Emilie au festival Longueur d'ondes à Brest, Laura à été diffusée à Radio Campus Paris également. L’idée serait de poursuivre les ateliers radios. Nous restons ouverts à ce que d’autres associations, ateliers, organismes, nous rejoignent pour développer ensemble des collaborations autour des ateliers cinéma. Nous aimerions à termes pouvoir recréer des atelier scénarios, ou des cours d’histoire du cinéma. Nous développons à la fois l’atelier et nos propres projets, nous sommes des artisans au jour le jour. 

 

L'atelier Cineke

A.B. : On organise aussi des écoutes publiques lors desquelles des personnes viennent directement nous trouver et partager cette expérience : écouter un documentaire sonore ensemble et en salle, comme un film. Il y a un essor des productions sonores, on le voit notamment avec Arte Radio qui organise également des goûter radios. On sent qu’il y a quelque chose qui plait, quelque chose qui nous renoue au plaisir d’écouter et d’être ensemble.

 

C. : Auriez-vous des recommandations de productions sonores ? 
Sonia et Aurélia : Nous écoutons beaucoup Yann Paranthoën. C’est une personne qui nous inspire énormément dans sa façon de penser la radio, sa manière d’analyser le son. Nous conseillons le travail de Fabienne Lemonnier qui a réalisé À Fleur de Peau et Folie Blanche. Dans un autre registre, il y a Les pieds sur terre sur France Culture, même s’il s’agit de témoignage, il y a la rencontre humaine très forte. On peut citer également le travail de René Farabet, Christophe Deleu, Théo Boulenger, Inès Léraud.

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