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Congo Lucha de Marlène Rabaud par Lucien Halflants

Publié le 28/11/2018 par Lucien Halflants / Catégorie: Critique

Ils viennent de l'Est du Congo, ils sont jeunes, font preuve d'une inépuisable richesse humaine et intellectuelle et s'accrochent à un rêve de démocratie tenu par de minces fils de conviction. On les appelle "La Lucha" et ils luttent à grands coups d'idéaux contre un gouvernement foutraque qui croit se suffire à lui-même sans jamais oser regarder son peuple en face. Bien sûr, il s'agit d'un sujet de cinéma rêvé pour Marlène Rabaud - cinéaste qui aura fait de l'Afrique le thème de son œuvre - mais il s'agit surtout d'une magnifique preuve d'amour d'une réalisatrice à un pays qu'elle rêve libéré.

Dans Congo Lucha, la force de l'état y est utilisé comme un personnage à part entière. Il y a les êtres qui luttent sans violence à la force de leurs pensées et il y a l'Etat : un monstre maléfique dévorant jusqu'aux rêves les plus intimes, ceux partagés, de vie délestée de toute entrave. Et si la lutte est spirituelle puisque volontairement non violente et en rapport étroit avec les croyances religieuses c'est que le dieu souvent prié par les luchéens ne devrait pas l'être. Car dans un premier temps, le film, pourtant porteur d'espoir, semble vouloir dire que les divinités, les chants, les croyances ne peuvent que peu contre la toute puissance du pouvoir armé de chiffres ou de plombs. Mais, alors que la déception s'installe, d'autres questionnements s'imposent : un mouvement ne cherchant pas le pouvoir est difficile à corrompre et sans violence, difficile de le battre légalement. Le film se meut alors en réflexion sur la croyance absolue en une spiritualité mais surtout en ses idéaux.

La voix-off de la réalisatrice - allant à l'encontre de la forme prisonnière de ses moyens comme de son manque de liberté - crée un lien direct entre le spectateur, la cinéaste et la véracité de ses images. Jusqu'à questionner le rapport que l'on peut avoir avec sa propre image médiatique lorsqu’une protagoniste se voit blessée par les critiques - par réseaux sociaux interposés - de "ceux qui ne font rien" là où elle prend des risques en choisissant la révolte.

Dans une temporalité classique et assez linéaire, Marlène Rabaud se permet d'expliquer les ellipses, en off. Cela semble vouloir annihiler toute création dramaturgique d'émotion pour ne laisser que la force froide du propos à travers la déception du temps qui passe et des choses ineffables qui ne changent pas. Mais comment critiquer un dispositif cinématographique alors même qu'on ne peut qu'imaginer la difficulté d'emmener son film d'un point de vue formel à un aboutissement équivalent à celui de son propos. Et ce, malgré des moyens aussi dérisoires et la pression d'un gouvernement oppressif. Dans Congo Lucha, la forme se soustrait parfois au fond mais qu'importe puisque le but est de se joindre à cette révolte pour transmettre au-delà des frontières le message libertaire et apolitique d'une envolée de poings levés.

Ainsi, les choses avancent et les dizaines se font quinzaines, se répendent et se rassemblent, les diplomates étrangers ouvrent les yeux sur cette cohésion ne cherchant qu'à rendre le pouvoir à ceux à qui il appartient. Au peuple ou plutôt à l'humain contre un gouvernement carnassier.

Alors, prêts à donner leurs vies, - littéralement, tant la mort ne les effraie plus et ne fait pas le poids face à leurs idéaux vitaux - les Luchéens ne feront jamais appel à la violence malgré l'opposition qui les combat. Et si c'est dans l'amertume des cendres qui tombent que s’éteint le film, c'est entre ces espoirs abîmés que subsistent les croyances renforcées en une lutte qui dure et durera encore et que ce film aura donné à voir aux ignorants, forçant ceux qui jusque-là s'y refusaient, à les écouter et à promettre.

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