En s'emparant de la mort de sa fille Marjorie, décédée d'une leucémie en 2006 à l'âge de 20 ans, Olivier Van Malderghem construit un film d'une richesse et d'une complexité inouïe où se mêlent un terrible secret de famille, les Tueries du Brabant wallon et l'espoir d'une utopie. Loin du film de deuil, Depuis que tu es partie brosse le portrait de plusieurs générations et c’est aussi un magnifique autoportrait du réalisateur.
Pendant 20 ans le père-cinéaste a filmé et photographié sa fille. Lorsque la maladie fait son apparition en 2005, le cinéaste va comprendre qu'elle a été sacrifiée par une partie de sa famille au nom d'un secret terrifiant, véritable bouc émissaire d'un clan qui s'est senti mis en danger par son exceptionnelle intelligence et acuité.
Le film retrace le parcours de sa famille avec le portrait de sa mère tout d'abord, peintre bohème qui élève seule ses deux enfants. L'arrivée de Daniel, beau-père effrayant et mystérieux, va changer la donne et bouleverser le destin de cette famille. À partir des archives familiales et d'autres, publiques, le réalisateur va tenter de tisser les liens entre sa fille et cette famille. Pour en donner toute la complexité, il mélange les formats, photographies, peintures, films en super 8 ou en vidéo, gravures dans une sorte de geste quasi épique. Il s'agit d'affronter des démons. Le cinéaste convoque d'ailleurs la figure du Minotaure, la famille comme un labyrinthe épouvantable.
La grande force du montage est de lier l'éviction de sa fille par la famille au traumatisme d'un pays, la Belgique, avec les braquages sanglants et violents commis par les Tueurs du Brabant wallon entre 1982 et 1985. On en parle encore aujourd'hui, car ce sont des actes sidérants, actes de folie, incompréhensibles. Vraisemblablement impliqué dans ces attaques, Daniel sera protégé par la famille maternelle et sera la cause du délitement des liens filiaux.
Depuis que tu es partie agit donc comme une enquête familiale avec son suspens, sa dramaturgie et ses points culminants. Le montage ose des choses inédites, comme cette photo à l'envers au Palais de Justice, qui sont des respirations dans un film très prenant. Ou comme ces masques en négatif qui pourraient être les portraits d'un tueur psychopathe. Mais grâce à une voix off travaillée et cinématographique, Olivier Van Malderghem s'éloigne de tout pathos, il trouve une distance juste, avec des indications de lieux et de temps comme dans un scénario (Intérieur. Jour) et rejoue des dialogues vécus avec sa femme Lizette. Le film travaille la matière même des différents formats pour faire surgir une autre vérité, on fouille les photos en les zoomant ou en faisant un travelling sur elles, on ralentit les images, pour capter les regards, les attitudes.
On parle aussi d'utopie dans cette œuvre protéiforme et pourtant homogène et fluide. Né au Canada, Olivier Van Malderghem va fuir la Belgique et cette famille en 1985 pour une redécouverte du « Nouveau continent », retrouver une Terre sans mal comme il l'appelle, sorte d'utopie pour se libérer des stigmates familiaux et pour élever Marjorie dans un environnement neuf. Comme ces anarchistes qui ont émigré aux États-Unis pour créer des communautés, le cinéaste et sa femme vont émigrer pour tenter l'aventure d'une terre « vierge » des traumas de famille.
Dialogue constant avec Marjorie, le film a la magnifique idée de reprendre ses écrits notamment sur la découverte de sa maladie. Le « Je » de Marjorie fait donc son apparition dans la dernière séquence du film, la plus émouvante, où tout semble se révéler. Le plan final est simplement bouleversant d'amour et de pudeur.
