Cinergie.be

Olivier Van Malderghem, Depuis que tu es partie

Publié le 19/04/2024 par Fred Arends et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Réalisateur, monteur et ancien professeur de cinéma, Olivier Van Malderghem a réalisé Depuis que tu es partie présenté au dernier festival Millenium. Le film retrace son parcours après le décès de sa fille Marjorie dû à une leucémie. Il revient sur sa manière de travailler et sur l'importance de ce film pour lui.

Cinergie : Une simple première question, pourquoi avez-vous fait Depuis que tu es partie ?

Olivier Van Malderghem : Après le décès de ma fille, je me suis souvenu qu'elle m'avait dit qu'elle aurait voulu jouer dans l'un de mes films. Et comme la mort est irréversible, on a souvent des remords et j'avais celui de ne pas l'avoir pas fait jouer. Elle voulait que je lui écrive un rôle et puis la vie a continué et je n'ai pas eu de scénario ni de rôle à lui proposer. C'est pour réparer cette erreur que j'ai décidé de consacrer un film à Marjorie où elle est le sujet principal et aussi l'auteur dans un certain sens, car j'y reprends certains de ses textes. C'était une façon de me défaire de l'une des culpabilités que j'éprouve vis-à-vis de ma fille. Comme chez tout parent qui perd un enfant, la culpabilité est inévitable alors que la maladie est seulement provoquée par un hasard déplorable.

 

C: Ce n'est pas un film que sur Marjorie, mais c'est aussi un film sur vous, votre famille, sur les problèmes et les traumatismes qu'il y a eu dans cette famille. Vous retracez un parcours passionnant sur votre propre histoire.

O.V.M.: Absolument et cela rendait le film difficile à faire et à écrire. Il y avait beaucoup de portes d'entrée qui renvoyaient à différents aspects de notre vie familiale et je ne pouvais pas éviter de les évoquer. Il ne s'agissait pas du tout de faire un portrait langoureux avec un enchaînement des plus belles photos de ma fille, quelque chose d'esthétique, un peu « relation publique », creux et superficiel. Au niveau de l'écriture, du choix des styles, cela a été des discussions avec les producteurs et la monteuse, Pauline Piris Neury, par après. Car très vite, on se heurtait à un problème de confusion. La crainte était que le spectateur perde complètement le fil vu le nombre d'aspects de la vie qu'on envisageait. Bien que c'est ce qui fait la richesse du projet, c'est de présenter la vie dans sa complexité et non de façon schématique. Et ce dans un film de 1h15 où le temps manque. Après avoir rassemblé toute une documentation, le travail a été de rendre cette complexité la plus lisible possible. Affronter ce problème de la complexité a fonctionné un peu comme une thérapie. Comme j'ai été en profonde dépression après le décès de Marjorie, il fallait des enjeux qui permettent de penser à elle de façon presque technique, à savoir d'un point de vue dramaturgique. Que puis-je faire de bien qui la serve à elle, et dont elle aurait été contente ?

 

C: Il y a le dialogue constant avec Marjorie et en parallèle, l'histoire d'un secret et du rejet qu'a subi Marjorie par toute une partie de la famille. Comment avez-vous traité ce secret ?

O.V.M.: Comme dans toutes les familles à secret, il y a une rupture de la communication. Et la participation plus que vraisemblable de Daniel aux tueries du Brabant wallon était ce secret qui soudait les membres de la famille. La communication ne fonctionne pas avec le monde extérieur, mais uniquement entre les membres de la famille liés par ce secret. C'était une affaire très grave, qui a plus de 40 ans et on en parle encore aujourd'hui tellement cela a été traumatisant. Marjorie a été complètement mise à l'écart par ma famille maternelle et il fallait que je trouve une raison. Après réflexion, j'ai trouvé que cette raison était liée au secret de famille. Marjorie était d'une intelligence remarquable, première de classe et très brillante. Et elle était donc dangereuse pour la famille, car son intelligence et sa neutralité la rendaient apte à comprendre ce secret et mettaient donc en danger Daniel à travers le regard aigu et analytique de Marjorie qui aurait pu dévoiler ce secret et démasquer Daniel. 

C'est en 2005 où j'ai eu une sorte de vision, notamment avec la gravure de Dubuffet que je vends à un collectionneur et la diffusion, 20 ans après les faits, des portraits-robots des tueurs du Brabant et qui étaient d'une précision remarquable. J'ai compris que Marjorie était le bouc émissaire de cette famille. Il ne suffisait pas de trouver révoltant que Marjorie soit un bouc émissaire, il fallait échafauder quelque chose qui puisse donner une explication rationnelle. S'il n’y avait pas eu ce défi, je n'aurais jamais mené ce travail d'investigation.

 

C.: Était-ce aussi un moyen de prendre une distance ?

O.V.M. : Oui c'est un moyen de calmer ses émotions. Et je pense que Pauline (la monteuse) a eu une véritable empathie vis-à-vis de Marjorie et qu'elle a développée comme une relation maternelle a posteriori et qu'elle a vraiment voulu servir sa cause. Ça nous a permis d'avoir des discussions très profondes et de prendre des décisions très concrètes de montage où l'on n’est pas dans le pathos. Ce sont des choix à faire et il faut avoir l'esprit très clair.

 

C.: Le montage est très travaillé, vous mélangez les formats, pellicule, vidéo, il y a un travail sur les raccords...Comment avez-vous procédé pour le montage ?

O.V.M. : Pauline est une très bonne monteuse et j'espère que le film lui permettra de gagner en notoriété, car elle est vraiment excellente. Sa démarche n'est pas du tout scolaire. Elle a toujours une originalité dans les choix qu'elle fait. Souvent on fait comme ce qu'on a appris dans les écoles de cinéma ou comme font les grands maîtres. Moi, je suis anarchiste et j'ai toujours fait un peu à ma manière et j'ai trouvé mon alter ego avec elle! Elle savait partir du hasard pour en faire quelque chose d'essentiel.  Il faut intégrer le hasard, car cela donne aussi une certaine fantaisie au film.

On essaie de créer une œuvre qui ait une cohérence interne. Ce que fait tout artiste, essayer de donner une cohérence à son œuvre même s'il part d'un bric-à-brac. Comme Flaubert qui a mis 8 ans à écrire Madame Bovary, et qui se tuait sur la cohérence d'une phrase et sur l'enchaînement des phrases.

J'ai souvent monté des archives et les films d'archives sont souvent très scolaires, illustratifs avec une voix off dite par un comédien payé à la ligne et cela n'a pas beaucoup d'intérêt. Il fallait trouver une dissonance entre les différents types d'images.  C'est pourquoi il n'y a qu'une voix off, car ça aurait été de trop si on ajoutait une variété de sons à la variété d'images.

 

C.: Comment avez-vous travaillé la voix off qui est votre voix ? Ce n'est pas facile, car vous n'êtes pas comédien.

O.V.M. : J'ai beaucoup chanté depuis que je suis jeune. Depuis la mort de Marjorie, je ne chante plus, car c'est lié à elle, elle chantait aussi. Notre complicité était dans le chant. Et cette pratique du chant m'a permis de poser cette voix off. Et de ne pas être dans quelque chose de monocorde. Cela a aussi permis à assurer une continuité dans le film. Et d'être enfin dans un dialogue constant avec Marjorie.

Tout à propos de: