Le Festival du Film européen de Virton en sera, cette année, à sa 44e édition. Il se tiendra du jeudi 7 au samedi 16 novembre, en Gaume, en province de Luxembourg. Soit dix jours de cinéma qui permettront aux festivaliers de découvrir 32 films européens - 30 longs métrages et deux courts métrages -, dans la salle du Ciné Patria. Rencontre avec Etienne Cadet, un de ses deux co-programmateurs.
Dix jours de cinéma made in Europe au 44e Festival du Film européen de Virton
Cinergie : Je vous propose de retracer l’historique de l’aventure Ciné Patria et du Ciné Nos Loisirs…
Etienne Cadet : Mes parents sont, avant tout, des passionnés. Ils sont exploitants de salles depuis une cinquantaine d'années. Mon papa, André Cadet, a commencé comme projectionniste, puis est devenu gérant du Ciné Patria. On a ouvert une deuxième salle il y a une douzaine d’années, qui était fermée depuis une bonne quinzaine d'années. Le Festival du Film européen de Virton date de 1980, une année européenne en Belgique. Et la commune avait demandé à mon papa de faire une semaine de cinéma européen, qui a très bien marché. On a donc continué. Enfin, il a continué ; j'étais encore fort jeune. Et nous voilà à la 44e édition ! C'est d'abord, bien sûr, une famille de passionnés de cinéma, mais bien aidés par toute une équipe de bénévoles pendant le Festival. Nous sommes une trentaine à travailler pendant celui-ci.
C. : Quels sont vos critères principaux à l’heure de sélectionner les films qui seront projetés lors du Festival ?
E. C. : La disponibilité des films, déjà. On est un tout petit festival donc on est dépendant des distributeurs, qui nous aident beaucoup pour cet événement. Et, dès lors, la sélection en tant que telle se fait vraiment au feeling. On a pas mal d'avant-premières aussi donc on n'a pas toujours l'occasion de les voir avant de les projeter. Mais on a l'expérience, on connaît les réalisateurs, on connaît la sensibilité de nos spectateurs surtout, et on sait ce qu'ils aiment et ce qu'ils n'aiment pas. Et on varie entre films grand public et films beaucoup plus pointus, des choses que les spectateurs n'auraient pas l'occasion de voir autre part, en tout cas pas dans le circuit commercial. Et ça, pour nous, c'est vraiment important !
C. : Ils sont plus d'un million et demi à avoir franchi les portes de vos cinémas depuis l'ouverture du Ciné Patria !
E. C. : À peu près, oui ! Depuis le tout début, ça doit être ça. Pour une petite ville, c'est pas mal.
C. : Comment trouvez-vous le juste équilibre entre les films grand public et les œuvres qui relèvent davantage du cinéma d'auteur et qui sont bien souvent issues du cinéma indépendant ?
E.C. : Le juste équilibre dépend des sujets des films, de leur nationalité aussi. On est quand même inondés par les films français et on essaie de ne pas trop en prendre, même s’il y en a quand même pas mal au sein de la sélection. Mais on aime bien aussi montrer le cinéma belge dans notre festival. Par la Journée du cinéma belge du dimanche 10 novembre, mais aussi dans le reste de la programmation. Dont certains films qui ne sont pas encore sortis. Nous souhaitons surtout faire découvrir à notre public un cinéma qu'il n'irait peut-être pas voir. Parce que le public belge ne soutient pas énormément son cinéma malheureusement. Surtout chez nous, qui sommes frontaliers avec la France où les gens, en général, préfèrent aller voir des films français que de découvrir des films belges. Dans le cadre du Festival, les gens sont beaucoup plus curieux. Et donc, dans le cadre d'un abonnement ou d'un achat de pass 10 films, par exemple, ils choisissent des choses à la curiosité. Et nous, on essaie en tout cas de trouver le meilleur équilibre.
C. : Les programmations française et belge représentent chacune environ un tiers des films présentés cette année à Virton. Est-ce que vous pouvez nous parler des films belges que vous avez choisis ?
E.C. : Il y a notamment un film flamand qui est sorti déjà il y a déjà quelques mois : Holy Rosita. Il faut savoir que pour une région comme Virton, le cinéma flamand est presqu’aussi exotique que le cinéma danois ou norvégien. Parce que c'est loin de chez nous. Et donc on aime bien défendre le cinéma flamand aussi. On a Milano en avant-première. Nous avons une petite respiration avec le dernier Stefan Liberski et lors de la Journée du cinéma belge, nous avons Demain, si tout va bien, de Ivan Goldschmidt. Nous avons aussi programmé BXL, des frères Monir Ait Hamou et Ish Ait Hamou et le dernier film de Fabrice Du Welz, Maldoror, qui sortira en décembre. Ainsi que deux courts métrages : Domicile fixe et Comme ça, tu sais.
C. : Est-ce que les spectateurs ont l'occasion de voir, pendant l'année, des films belges dans vos deux cinémas ?
E. C. : Oui, tout à fait ! Dans le cadre de l'année hors Festival, c'est-à-dire dans l'exploitation commerciale des deux cinémas, on programme des films belges en ciné-clubs. On organise environ un ciné-club par mois dans les deux salles, qu'on appelle les coups de cœur du Festival. Des films qu'on aurait pu sélectionner pour le festival, mais qui ne rentraient pas dans la programmation ou qui arrivaient trop tôt ou trop tard. Et on essaie toujours de montrer les films belges. Mais dans le cadre d'un cinéma commercial, ce ne sont malheureusement pas les films belges qui font des recettes dans les petites salles et c'est bien dommage.
C. : Comment procéder pour que le cinéma belge se distingue encore davantage pour le public belge francophone ? Le public belge flamand va voir les films flamands. Mais comment encourager le public belge francophone à voir davantage de films belges francophones ?
E.C. : Je pense que les réalisateurs belges devraient faire des tournées, comme le font les musiciens ou les troupes de théâtre. Venir présenter leurs films en avant-premières ou en séances normales et créer ainsi un événement autour de la sortie d'un film belge. Je pense qu'ils auraient intérêt à le faire, même si cela se fait parfois. Mais c'est un cinéma par province donc ils choisissent aussi les spots selon la retombée qu'ils pourraient avoir, bien sûr. Et Virton n'est pas toujours sélectionnée dans les spots en question parce qu'il n'y a pas beaucoup de retombées médiatiques, malheureusement. Mais je pense qu'ils devraient faire plus de tournées en tout cas et promotionner le cinéma par le biais de la télévision aussi. Par les interviews, aussi. Il y en a, mais c'est toujours assez spécialisé. Les grandes chaînes, je trouve, ne défendent pas toujours leur cinéma. Bien que la RTBF soit partenaire de beaucoup de films, je trouve qu'une bande-annonce avant le JT du prochain film belge qui sort, plutôt que de la grosse machine américaine, serait une piste. Faire en sorte, en tout cas, que les gens s'intéressent à leur propre cinéma. Mais la concurrence est rude et donc ce n'est pas évident.
C. : Des réalisateurs et réalisatrices, des acteurs et actrices, des membres d'équipes de films, plus largement, seront-elles et ils présent(e)s au Festival, notamment de films belges ?
E.C. : On l'espère, oui. En tout cas, nous aurons Ivan Goldschmidt pour le film Demain, si tout va bien. On espère que l'équipe de BXL sera présente également dans le cadre de la Journée du cinéma belge. Et Fabrice Du Welz reviendra peut-être cette année. Il était déjà venu il y a trois ans avec Adoration et s'était bien plu. Donc on espère qu'il viendra défendre son film.
C. : Comment présenteriez-vous le cinéma de Fabrice Du Welz, justement ? C'est un cinéma très singulier, du cinéma de genre évidemment, mais encore ?
E.C. : C'est un cinéma exigeant, qui est, pour moi, dans le réel, comme l'est souvent le cinéma européen, d'ailleurs. Mon père dit souvent que le cinéma européen, c'est le cinéma de la vie. Et Fabrice Du Welz a cette touche. Sa singularité, c'est de faire du film social sans être du film social. C'est d'y arriver, par son cadre et par ses sujets, en tout cas. Ce sont souvent, aussi, des sujets qui posent question et qui font débat.
C. : Quel est votre premier souvenir de cinéma ?
E. C. : Comme beaucoup de petits Belges, et d’enfants partout dans le monde, c'était en 1982 avec E.T., l’extra-terrestre. C'est le film mythique qui est sorti cette année-là. Un film que j'ai dû voir plus d'une dizaine de fois dans notre cinéma. Notre père nous a toujours appris à être curieux et à voir des films de notre âge, bien sûr, mais aussi des films qui n'étaient pas pour notre âge. Et de, justement, essayer d'ouvrir sa palette et d'être curieux de toutes sortes de cinémas. Mes souvenirs des premiers Ken Loach, quand j'étais tout jeune, m'ont très fort marqué, tout comme le cinéma anglais social dans son ensemble. Des souvenirs, j'en ai des milliers ! Des souvenirs de salles, mais surtout de longues files d'attente devant le cinéma avec des films belges comme Le Huitième Jour, qui avait vraiment cartonné à l'époque et que j'avais adoré aussi, bien sûr. J’ai aussi en mémoire l'engouement que le cinéma avait il y a encore une vingtaine d'années. Je ne veux pas faire mon nostalgique, mais c'est sûr qu'au fur et à mesure des années, on sent que l'exploitation de petites salles devient de plus en plus difficile et que sans les grosses machines américaines, dont on a besoin, bien sûr, on ne survivrait pas longtemps. On n'a pas toujours l'occasion de programmer ce qu'on aimerait réellement programmer dans une salle art et essai.
C. : Vous présentez quelques films en version originale. Les spectateurs vous suivent volontiers dans cette démarche ?
E.C. : Oui. Nous programmons souvent dans une salle la VF et, dans l'autre salle, la VO. Au Festival, tout est en VO, bien entendu. Et c'est même inimaginable de passer un film en VF dans le cadre du Festival. Mais en dehors du Festival, on a tout en VF plutôt qu'en VO.
C. : Quel film vous a poussé à travailler dans le cinéma ?
E. C. : Plutôt qu'un film, c'est l'esprit de famille, déjà. Et puis l'amour du cinéma. Mon père dit souvent « le cinéma, c'est mieux au cinéma ». Et donc avec les plateformes, je trouve qu'on est, on ne va pas dire courageux, mais, en tout cas, on essaie de continuer à faire de l'exploitation entre commercial, bien sûr, et films plus pointus. Mais l'envie, c'est de soutenir mes parents. On est quatre frères et on a chacun notre rôle dans la société. On vit cinéma, on parle cinéma, on parle de chiffres. On est toujours dans l'envie de continuer et de faire venir les gens surtout. On remarque par chez nous que les enfants qui sont maintenant parents aiment emmener leurs enfants dans la salle où ils sont allés petits parce qu'on est resté un cinéma, pas artisanal, mais en tout cas une petite structure qui n'a pas beaucoup changé, à part au niveau de l'image et du son, au fur et à mesure des années. Il s'agit de garder cette tradition d'exploitant de salles et de passionnés, surtout. Les gens retournent maintenant davantage dans les petites salles. Avant, on ne pensait qu'aux complexes, etc. On revient à des petites structures plus sympathiques, plus humaines. Et je crois que l'humanité, c'est un petit peu notre marque de fabrique, avec un accueil personnalisé et chaleureux.
C. : Une image et un son de qualité, et des sièges très confortables...
E.C. : Très ! Et on peut aller dans la salle avec son verre d'Orval, la boisson nationale de la province du Luxembourg.
C. : Si vous deviez mentionner quelques souvenirs, sur ces 44 années de festival, quels seraient-ils ?
E. C. : Ce sont surtout les rencontres avec le public. C'est le débat d'après film, ce sont les discussions dans notre bar-foyer où on accueille les gens pour manger ou boire un verre. Nous avons surtout pour objectif de faire naître cet engouement pour un film, ou sa détestation. Ou de voir un public choqué ou en admiration avec des larmes dans les yeux. C'est ça qui, pour nous, est vraiment important. C'est d'apporter des émotions aux gens et qu'ils aient envie de les partager avec les autres et de débattre. Quand j'étais jeune, André Delvaux est venu chez nous. On a aussi des rencontres avec les distributeurs qui nous aident bien dans l'élaboration du festival. Ils sont, pour nous, vraiment importants parce qu'ils nous font confiance.
C. : Le dernier film de Claude Lelouch, Finalement, va ouvrir en beauté le Festival. Il y aura une belle clôture également avec La Chambre d'à côté, le nouvel Almodóvar. Un film du Festival que vous aimeriez mettre en avant ?
E.C. : J'aimerais que les gens découvrent Crossing Istanbul, que l'on a en avant-première ; il ne sort qu'en décembre. Bird, d'Andrea Arnold, aussi, qui est, pour moi, la nouvelle Ken Loach du cinéma anglais. J'avais adoré Fish Tank, il y a quelques années, qui est vraiment un superbe souvenir de cinéma. Le cinéma flamand, avec Milano, qui est aussi une belle avant-première. J'invite les gens à être curieux. Sebastian est un film beaucoup plus exigeant, avec un sujet assez cru. Et on espère que les que le public va oser et va apprécier, surtout.
C. : Quelques infos pratiques ?
E. C. : Vous trouvez le programme complet sur www.cinepatria.be. Et le prix des places est tout à fait démocratique puisqu'il s'élève à 7 euros. Dix films pour 60 euros. Et l'abonnement complet est à 165 euros. Mais il n'est plus disponible à présent, car nous avons déjà reçu le nombre de demandes maximal pour ce dernier. Virton, province du Luxembourg, capitale de la Gaume. E 411, sortie Habay. Ou le train, bien entendu. Soyez les bienvenus !