De l'art de voir
Quelqu’un, quelque part, se raconte. Il met sa vie en forme, en récit. Il joue de sa mémoire, revit son passé, évoque des lieux, des gens, des rencontres. Devant le regard autre d’une caméra, il se livre sans souci de pudeur, comme habité d’une nécessité de dire, de témoigner, qui le transporte et le possède.
Sous nos yeux de spectateurs fascinés, il sort du cadre étroit de l’écran, nous prend par la main et nous entraîne dans ses mots qui nous disent ce qu’il a vécu. Et nous les entendons. Nous commençons à voir.
Quelqu’un que nous ne connaissons pas, qui vit là-bas, là-bas très loin de nous, et qui pourtant dans cet instant où il se dit, nous est si proche, si complice, si nous-même dans son émotion qu’il nous trouble et nous bouleverse, nous captive et nous transforme.
Dans cette parole qui prétend ignorer l’évidence de l’espace et qui se joue de l’irréversibilité du temps, durant cet étrange voyage imaginaire (et ô combien réel) où nous nous abandonnons à être un peu plus que ce que nous sommes, nous faisons, grâce à ce savoir-faire documentaire, l’expérience d’un commun, l’amorce d‘une communauté avec quelqu’un que, sans doute, nous ne rencontrerons jamais.
Une telle expérience cinématographique n’est possible que si celui qui filme ce quelqu’un le connaît dans un sentiment d’extrême partage, dans une confiance à ce point complice qu’elle ne s’énonce plus, qu’elle est comme un état de pure osmose, l'instant d'une grâce.