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Entretien avec Haetal Chung, responsable du Centre Culturel Coréen

Publié le 03/02/2017 par Grégory Cavinato / Catégorie: Entrevue

Cinergie : D’où vient l’initiative de ce deuxième festival de cinéma coréen, plus réduit (seulement 3 films), en parallèle à celui que vous organisez tous les ans en septembre ?
Haetal Chung, responsable du Centre Culturel CoréenHaetal Chung
 : Nous essayons de montrer un maximum de films coréens en Belgique, mais malgré tous nos efforts, notre cinéma n’est pas encore très présent. Grâce à la passion des spectateurs belges, nous organisons notre Festival du Cinéma Coréen tous les ans en septembre. Nous collaborons également avec d’autres festivals internationaux, comme le BIFFF ou Anima où une poignée de films sont présentés chaque année. Mais ce ne sont que quelques films épars au sein de grands festivals et il reste beaucoup à faire ! Nous avons donc voulu proposer quelque chose en plus, un programme plus régulier : les « Korean Film Fridays » qui fonctionnent vraiment bien, mais qui restent un programme « intérieur » à notre centre, pour les habitués. Nous avons alors cherché à faire un geste pour les spectateurs qui ne connaissent pas encore très bien le cinéma coréen ni la Corée, un événement qui aurait plus d’impact. Nous avons pensé à organiser chaque année, en février, un mini-festival supplémentaire, un événement conceptuel où nous pourrons alterner les thématiques. Cette année, c’est donc un festival consacré aux films en copies 35 mm. L’année prochaine, nous consacrerons la même période au cinéma d’animation, en même temps ou juste après le Festival Anima. L’année d’après, ce sera le film documentaire…

C. : Selon vous, quel est l’attrait de projeter des films au format 35 mm ? Une grande majorité des cinémas actuels privilégient la projection en numérique…
H. C. :
C’est un format qui permet de retrouver la nostalgie et les émotions cinématographiques d’avant, même si notre festival proposera des œuvres contemporaines ! Personnellement, j’adore regarder des films en pellicule car c’est vraiment le format original, depuis le début de l’histoire du cinéma. Et les occasions de profiter de ce support se font et se feront de plus en plus rares. Comme vous l’avez remarqué, ces jours-ci, les cinémas ne projettent plus que des DCP ou du BluRay. On pourrait croire que ces formats sont parfaits, mais beaucoup de cinéastes se plaignent du rendu des couleurs que proposent ces supports. La pellicule 35 mm montre beaucoup plus de détails et s’avère bien plus proche des intentions des réalisateurs. D’autre part, c’est un format qui est en train de disparaître. Impossible de dire si nous pourrons organiser un tel festival dans 5 ans, d’autant plus que les jeunes techniciens ne savent plus comment projeter ces copies 35 mm ! Aujourd’hui, nous avons encore la chance de pouvoir le faire. Il faut donc en profiter. Il y a également le fait que la société coréenne est résolument ultra-moderne, tournée vers les technologies de pointe, que ce soit pour les films ou la musique… C’est donc notre stratégie pour donner une autre image de la Corée.

C. : Pouvez-vous commenter les trois films qui constituent la sélection ?
H. C. : L’idée est de montrer la diversité du cinéma coréen en privilégiant le cinéma d’auteur, particulièrement avec Breathless, de Yang Ik-Joon. À côté de ça, nous avons The Old Partner, de Lee Chung-Ryeol, un fascinant documentaire à propos de l’amitié entre un humain et un bœuf. Detective K : Secret of the Virtuous Widow, de Kim Seok-Yoon est peut-être celui qui se rapproche le plus d’un blockbuster à grand spectacle. C’est un drame historique qui se déroule au XVIIIe siècle, à l’époque de la dynastie Joseon. Ça parle de l’ancienneté en opposition avec la modernité de la Corée.

C. : On remarque souvent qu’en Corée, même les premiers films sont exceptionnels de maîtrise et n’ont parfois rien à envier à ceux des cinéastes plus aguerris. Comment expliquez-vous cette incroyable énergie des jeunes cinéastes coréens, en opposition avec ce qui se passe en Belgique où les premiers films restent artisanaux et souvent maladroits ?
H. C. : Je crois que ça vient de notre système éducatif. La Corée est un pays qui n’a pas beaucoup de ressources naturelles. Nous considérons donc que notre première ressource est l’éducation, qui est primordiale. Les parents coréens se sacrifient au maximum pour l’avenir de leurs enfants. À l’école, la compétitivité est un concept très fort dès l’âge de 5 ou 6 ans. L’exercice du premier film est vraiment un compromis entre le côté artistique et l’aspect commercial : ces deux pôles doivent être équivalents. Impossible d’obtenir du financement si ces deux pôles ne sont pas réunis ! Les premiers films sont souvent très bien faits, professionnels et maîtrisés car le degré d’exigence requis est très élevé. Un premier film doit être compétent sinon, aucune chance d’en faire un deuxième ! Faire un premier film est donc presque un acte désespéré de montrer ses compétences… Il y a deux cas de figure : d’un côté il y a quelques grands artistes qui se sont fait un nom tout seuls. C’est le cas notamment de Sang-ho Yeon, qui a fait ses films d’animation de son côté puis a accédé au succès et à la gloire avec son premier film live, Dernier train pour Busan. D’autre part, il y a les réalisateurs qui ont travaillé comme assistants pour les grands cinéastes. Ils commencent au bas de l’échelle, puis deviennent premiers assistants… Et lorsqu’enfin ils peuvent faire leur premier film, la qualité est pratiquement garantie grâce à leur expérience acquise sur tous ces tournages ! C’est un tremplin pour eux, et c’est un système vraiment collaboratif où les jeunes artistes ont l’opportunité de travailler à divers postes sur les films des autres et sont aidés par les grands cinéastes, ce qui favorise le cinéma d’auteur. Les blockbusters sont également très nombreux chez nous. Dans ces cas-là, c’est plutôt par la production qu’ils sont aidés. Dans ce genre de films, le réalisateur n’est pas très important parce que tout est déjà programmé dès le départ : le scénario, les stars… tout ça est décidé bien avant qu’un réalisateur n’intervienne ! La production choisit des réalisateurs brillants, mais qui n’ont que très peu d’influence sur la nature du projet. Aujourd’hui, je vois énormément de films coréens et je me rends compte qu’il y a un vivier de jeunes réalisateurs vraiment très intéressants. Je suis donc toujours à la recherche de nouveaux talents et c’est pour ça que j’essaie de les inviter dans notre Centre et de montrer leurs œuvres. Nous sommes heureux de voir que le cinéma coréen est de mieux en mieux accueilli par le public belge, notamment le dernier film de Park Chan-Wook, The Handmaiden (Mademoiselle), qui a connu un très beau succès critique et public en salles !

C. : Quels sont les autres événements prévus en 2017 par le Centre Culturel Coréen ?
H. C. :
Notre festival annuel aura lieu à partir du 22 septembre. Ensuite, dans le cadre du Festival de la bande-dessinée, en collaboration avec la ville de Bruxelles, nous exposerons les travaux d’auteurs belges et coréens dans notre centre. Nous travaillerons également avec le MOOF (Museum of Original Figurines) et nous sommes en train d’envisager de faire une tournée avec cette exposition. Au mois d’octobre, nous organiserons également un festival de musique rock coréenne, dont la date exacte n’est pas encore fixée. Enfin, rappelons que les « Korean Film Fridays » reprendront dès le premier vendredi de mars, pour toute l’année !