Cinergie.be

Entretien avec Manon Verkaeren, Responsable à la RTBF des "Nouveaux Formats"

Publié le 02/08/2022 par David Hainaut et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

«Il y a une demande générale pour des projets d'humour et locaux»

Dans un paysage belge francophone toujours évolutif, la RTBF s'active. Outre son implication (historique) dans le long-métrage et plus récemment, dans les séries (La TrêveEnnemi PublicPandore...), la chaîne publique a un pôle spécifique pour de nouveaux formats (séries de 26', d'humour, podcasts), dont Manon Verkaeren, est la responsable depuis l'an dernier. Rencontre avec cette ancienne conseillère de programmes, présente depuis cinq ans au Boulevard Reyers.

Cinergie: C'est donc vous qui, à la RTBF, coordonnez tous ces nouveaux formats ?

Manon Verkaeren: C'est bien moi, oui (sourire), même s'il n'est pas neuf de créer des séries avec des épisodes d'une demi-heure ou moins. Ce qui est nouveau, c'est que la RTBF en développe ! Raison pour laquelle on a lancé un premier appel à projet de séries de 26 minutes, qui a permis de créer la série Baraki,  un vrai succès. C'est un format qui émerge sur toutes les plateformes. Puis, ce timing convient bien pour tester des univers différents. On développe d'ailleurs huit projets dans cette durée, en ce moment-même. En plus donc, de projets humoristiques plus courts qui ont déjà fait leurs preuves, comme Une semaine sur deuxChez Nadette ou Messieurs Pipi. Car voilà : tant le secteur que le public sont demandeurs de comédies. C'est donc logique d'aller dans ce sens. Et j'aurais envie de parler aussi de l'essor actuel des podcasts : pour ceux qui connaissent, on prépare la saison 3 de Noir Jaune Rouge, un autre succès. Tout en peaufinant d'autres projets...

 

C.: Vous confirmez donc que le vocable «websérie» fait désormais partie du passé...

M.V.: Oui, car en termes de diffusion, les choses évoluent. Nos séries sont toutes digitales, puisque toutes diffusées sur Auvio, ce qui est évidemment essentiel. Car en 2022, les gens n'ont plus l'habitude de regarder la télévision de manière programmée, et les jeunes actifs n'ont parfois même plus de télé. C'est pour ça qu'on renforce notre offre sur Auvio, en essayant d'être cohérent et en mettant à disposition des contenus intégraux. Il n'y a donc plus lieu de parler de série digitale ou linéaire : tout se rejoint. Ce qui est fondamental, c'est surtout de créer des séries originales avec des équipes belges pensées pour le public belge, en variant formats et genres. De lorgner vers la comédie, mais aussi vers la dramédie, du « murder mystery », du décalé, etc... On espère même assez vite avoir des séries de zombies, des thrillers adultes... En fait, le champ des possibles est large !

 

C.: Et on l'imagine, en trouvant le bon équilibre entre tous ces genres...

M.V.: Voilà. Ce qui n'est pas toujours évident ! Si on prend l'humour, la perception de ce qu'est une bonne comédie est différente chez chacun. Donc, quand on en propose une à un public large, la mission n'est pas simple. Au-delà de ça, le genre comique n'est pas très plébiscité chez nous. À la RTBF, on essaie. Et pas juste du potache ou du satirique, mais aussi des comédies familiales, romantiques, décalées ou satiriques. Mais tout ça réclame du temps de développement et d'écriture. On tient aussi à rester un incubateur de talents, soit d'avoir des gens qui ont des idées sans nécessairement de grandes expériences scénaristiques, mais qui ont un univers ou font de la vidéo sur le net. Je pense qu'on verra les effets de tout ça dans un an ou deux. Si dans un premier temps on a tenté de montrer que proposer des formats d'humour était possible, on essaie maintenant d'être plus proactifs, de faire passer le mot, d'être présents en festivals d'humour, de faire des campagnes de communication, etc... Mais encore une fois, la demande émane tant du secteur, que du public et de la chaîne. La comédie existe en Belgique ! Les scènes de stand up, les théâtre et les festivals le démontrent. C'est simplement quelque chose qui a été peu développé et qu'on voudrait un peu changer...

 

C.: On imagine que vous croulez sous les propositions de projets là, non ?

M.V.: Je confirme qu'on est pas mal sollicités (sourire). Mais c'est super, car ça témoigne que nos signaux sont bien interprétés auprès des créateurs et créatrices. Qu'ils savent qu'on a la force de développer ensemble un concept ou une idée, en étant rémunérés. Parmi les huit projets en développement, on se réjouit de voir qu'on a des choses singulières et diverses. On a là des sujets en lien avec notre monde en transition, qu'il s'agisse de l'environnement professionnel, du changement climatique, de la vie de couple ou même de trouple (…) On sent une créativité en ébullition pour l'instant, Et avec des choses de qualité.

 

C.: Faire le tri n'est pas trop difficile ?

M.V.: Ce n'est jamais simple car choisir, c'est renoncer ! Mais on a beaucoup de discussions engagées et intéressantes. Comme on a la possibilité de développer pas mal de choses, le ratio de projets validés reste quand même bon. Puis, n'importe quel producteur et scénariste peut toujours redéposer un projet même s'il l'a déjà tenté ! On ne veut fermer aucune porte. Il y a aussi des retours et des argumentations de jurys et de commissions. Sans perdre de vue qu'on a une ligne éditoriale propre à la RTBF, qui n'est peut-être pas la même qu'ailleurs. On ne peut forcément pas tout prendre. Mais début 2023, je peux vous le dire, on lancera un nouvel appel pour formats courts humoristiques, et un autre, encore dédié aux formats de 30 minutes, sur 6-8 épisodes.

 

C.: En parallèle à tout cela, vous venez de débuter un tournage important. Et même novateur...

M.V. Oui, complètement inédit, même! Cela s'appelle Trentenaires, et c'est adapté d'une série flamande (Dertigers) qui a été un raz-de-marée au nord du pays dont j'ai été témoin, car j'y habite ! La RTBF n'est pas spécialement à la recherche d'adaptations, mais c'était difficile de passer à côté de ce phénomène de société. C'est une série proche des gens et bienveillante, en plus d'être authentique et simple. En ces temps incertains, elle a du potentiel pour faire du bien. Pour la VRT, c'était un pari, mais leur public s'est tellement projeté dans les personnages - avec des acteurs inconnus du grand public - que le nombre de vues dépasse l'entendement. La série utilise aussi comme personnage Anvers (NDLR: ce sera Charleroi pour la version francophone) en jouant sur des playlists musicales, en mélangeant par exemple du David Bowie à du Billie Eilish . C'est une série qui parle de nos problèmes, mais propose aussi des solutions. Cela donne de l'espoir, ce dont on a besoin, je crois. Et ce long tournage dure jusqu'en octobre...

 

C.: En somme, presque tout ce que vous initiez ici est quelque chose de neuf dans le paysage...

M.V. : Oui et ça, c'est super ! Et toujours, en gardant en tête une diversité de la manière la plus large : à l'écran, mais aussi dans les équipes de casting, d'écriture, etc. Notre équipe tient à montrer que la fiction belge peut être multiple. Et il y a vraiment une demande des gens pour continuer à découvrir des choses locales. Investir le côté belge francophone, c'est permettre aussi au public de s'y retrouver. Qu'il puisse parfois se dire «Tiens, ça se tourne en bas de chez moi aussi !»...Les productions étrangères ont parfois tendance à occulter ce qui se fait ici, mais il ne suffit parfois de pas grand-chose pour modifier la donne. Regardez le simple exemple d'une série comme Pandore : qui aurait cru qu'on puisse faire un thriller politique belge qui rencontre un succès public ? Et avec, comme personnage principal, une femme de plus de cinquante ans avec des cheveux blancs ? Il faut oser, en fait ! Les succès de quelques séries récentes a été la meilleure preuve que le public belge francophone pouvait être présent. Et c'est un signe à côté duquel il ne fallait pas passer...

Tout à propos de: