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Entrevue avec Christian Thomas, distributeur

Publié le 01/01/2002 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Un midi récent, au quatrième étage de la Maison de l'Audiovisuel, Christian Thomas, un jeune homme d'un mètre quatre-vingts, de plus ou moins quarante ans, nous fait face, un gobelet de thé à la main gauche. Il s'assied et remarque l'affiche d'En la puta vida, le film de Béatrice Flores co-produit par Saga Film, qui fait un tabac en Uruguay et qu'il souhaite distribuer chez nous. Nous posons l'enregistreur Sony entre nous et l'allumons. 1, 2, 3...

Christian Thomas

 

"Le premier film dont je me souviens est l'Incroyable randonnée de Walt Disney, nous confie-t-il dans un hoquet. C'est l'histoire d'un chien et d'un chat qui partent à la recherche de leur maître parce qu'ils se croient abandonnés. Qu'est-ce que ça m'a fait pleurer ! Il leur arrive des aventures terribles ! Je regarderais ça aujourd'hui, je trouverais ça sûrement con ! Mais lorsque j'y repense, c'est un film qui m'a fait une forte impression."

 

Christian est tombé dans la marmite du cinéma dès sa naissance. Son père était producteur et gérait aussi une salle de spectacle, le Théâtre Saint-Michel, où il programmait le dimanche après-midi des séances de cinéma familiales. C'est dans ce cadre-là qu'il flashe sur l'Incroyable randonnée. " Il y avait un monde fou à ces séances. Les places étaient à 15, 20 et 25 francs ! Je n'avais pas la télévision chez moi, donc je découvrais le cinéma en salle. Ça, je crois que ça laisse des traces indélébiles. J'avais quinze ans lorsque j'ai été confronté à Hitchcock pour la première fois. C'est intéressant, parce que c'était par le biais du numéro spécial de Visions. Hitchcock, cela a été une révélation pour moi. Vertigo reste un des mes favoris. Ses films, je ne les avais pas vus. Ils passaient peut-être à la télévision... Je me souviens par exemple des Oiseaux, qui était passé dans la salle de mon père mais qui était interdit aux moins de seize ans et que je n'ai pas pu voir. La salle était située à côté d'un collège catholique. Mon père essayait tant bien que mal d'avoir la gestion la plus indépendante possible mais le théâtre appartenait aux jésuites, donc il ne faisait tout de même pas ce qu'il voulait.

 

C'est l'époque aussi où j'ai écrit mes premiers articles de cinéma. J'avais donc quinze ans, on avait un petit magazine qu'on faisait en classe de publication comme ça. J'avais écrit un article sur Star Wars qui venait de sortir et maintenant lorsque je lis cet article, j'ai honte, parce que je descendais ce film complètement ! J'étais très militant, très gauchiste, et je me souviens que j'y voyais un film trop raciste. Le côté phénomène de ce film que tu perçois longtemps après m'était passé par-dessus de la tête. A l'époque, je n'étais pas encore très fan de science-fiction. Avec le recul, je vois beaucoup mieux ce qui fait l'intérêt de ce film. Et ça c'était rigolo. Je suis venu au cinéma via un détour par la musique. je commençais à avoir mon groupe de rock progressif. C'était toute la mouvance Pink Floyd (Dark Side of the moon), Genesis... Je faisais de la guitare électrique, mais aussi de la guitare classique. À cette époque, j'allais à l'académie. Je ne voulais absolument pas suivre la trace de mon père, ça ne m'intéressait pas de faire du cinéma : ce qui m'intéressait, c'était de faire de la musique de film. Je m'intéressais aux compositeurs. À l'époque, mes goûts restaient fort classiques, Ennio Morricone, John Williams.

"Ce n'est que plus tard, à vingt ans, que j'ai commencé à vraiment découvrir le monde de la musique de film, Bernard Herrmann par exemple, pour sa musique de Citizen Kane, Psycho ou Taxi Driver. " Comme il fallait bien faire quelque chose de sérieux, Christian étudie la musicologie à l'U.L.B. Et écrit son mémoire de musicologie sur les relations entre Frédérique Devreese et André Delvaux. "J'ai pris comme référence justement le couple Hitchcock-Herrmann et quelques autres duos très forts de compositeurs et réalisateurs. Ce qui m'a permis de rencontrer Philippe Reynaert, qui avait fait quant à lui son mémoire sur Rendez-vous à Bray et son adaptation." S'intéressant à la musique et au cinéma, il part aux États-Unis. Et s'inscrit à l'USC de Los Angeles, une école de cinéma, pour y faire une maîtrise. "Je suis resté trois ans dans cette école. À ce moment-là, j'ai tourné la page musicale. J'ai suivi des cours de musique, notamment ceux de Fred Steiner, un compositeur qui enseignait l'histoire de la musique dans le cinéma. C'était un cours à option qui était donné dans le département de musique. J'ai d'ailleurs arrêté de jouer parce que je n'avais plus le temps et j'étais vraiment plongé dans le cinéma et dans l'étude du langage cinématographique sous ces différentes formes."

 

Rentré en Europe, il rédige une thèse sur la coproduction européenne dans les années 89-90. À cette époque se mettaient en place tous les programmes européens. C'est aux États-Unis qu'il prend conscience. de son attachement pour le cinéma européen. "Mon premier boulot en revenant des États-Unis a été chez Belga-films. À l'époque, j'ai appris que le Festival de Bruxelles recherchait une agence de communication. Dès que j'ai su qu'ils avaient choisi une agence, comme je m'ennuyais un peu chez Belga, je les ai contactés. Fin septembre, l'agence K comme communication a repris le Festival et j'ai suivi. La suite, tu la connais." Il devient le premier président de l'asbl Cinergie et, après en avoir assuré la coordination, est, à partir de 1995, le Délégué général du Festival en 1995. Un poste dont il démissionne en janvier 2001.

 

Début février, il fonde Transat Films, une société de distribution dont le premier film, les Héros, est aussi le premier réalisé par Thomas Vittenberg avant qu'il ne rejoigne Lars Von Triers dans Dogma 95, et qui sort en salles au printemps 2001. "En parallèle, j'ai cherché ma voie en production. Manuel Poutte m'a demandé de m'associer à lui au sein de Lux Fugit Film pour produire du documentaire. Dans ce cadre-là, le premier doc que je produis, au sein de Lux Fugit, au printemps prochain, en coproduction avec le CBA, est Milonga, le coeur du labyrinthe de Diego Martinez. Une plongée dans le tango argentin tel qu'il est vécu par les habitants de Buenos-Aires. Sinon, je coproduis Comptines de Damien Chemin, un court métrage de fiction, au sein de Transat. Ce qui m'a permis d'entrer dans la production en douceur et de continuer l'an prochain avec le Jardin, un court d'Annick Ghijzelings. "Parallèlement, il y a le développement de projets de longs métrages mais avant cela, il y aura la distribution, avec quelques changementsJe voudrais recommencer avec un autre profil. Je me suis rendu compte qu'il y avait, pour un certain nombre de films belges, des blocages, tant et si bien que le public ne peut les découvrir sur nos écrans. Il faut leur donner une chance et les sortir avec les moyens dont on dispose et en étant prudent. L'année prochaine, je vais essayer de sortir trois longs métrages de fiction en salles : En la puta de vida de Beatriz Flores, le Troisième oeil de Christophe Fraipont et Au-delà de Gibraltar de Mourad Boucif et Taylan Barman, tous trois produits par Saga Films."

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