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Entrevue avec Pierre Dherte

Publié le 01/07/2002 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Pierre Dherte

Les moldus n’y comprendront goutte. Qu’ils passent leur chemin ou fassent une session de magie au château de Poudlard avec Harry Potter ! Les cadeaux d’anniversaire ont parfois des effets inattendus. Les parents de Pierre Dherte savaient-ils qu’en lui offrant pour ses dix ans une boîte de magicien comprenant une baguette, ils plongeraient leur fils dans le monde de l’illusion, du théâtre, du cinéma, au point que celui-ci créerait, bien plus tard, la Compagnie des illusions ? Sans doute pas. Encore que. Lorsqu’on parle à Pierre Dherte de sa vocation pour les arts de la scène, il reprend cette expression de Thomas Bernhard : « L’idée m’est déjà venue avant de concevoir l’idée ». Déjà dans le ventre de sa mère, la magie opérait.

 

 

 

Né à Ath, la première expérience de cinéma dont se souvienne Pierre Dherte se passe au Caméo, une salle de la ville. Il s’agit d’un péplum dont il a oublié le titre mais pas les couleurs (le fabuleux Technicolor de l’époque), un film projeté dans l’une de ces salles qui avait l’allure et le décorum d’un théâtre. "Le premier film qui m’ait vraiment marqué, je l’ai vu à la télévision et pas au cinéma. C’était un film avec Bourvil qui s’appelait l’Arbre de Noël (Christmas Tree de Terence Young), un film assez peu connu." Mais ce qui l’occupe, sa première expérience de scène, c’est la prestidigitation. "Je faisais des petits spectacles pour les familles ou la fête des facteurs, vers 14-15 ans. Si bien qu’après mes humanités, lorsqu’il a fallu choisir un métier, mon père ne s’est pas opposé à ce que j’entreprenne des études artistiques mais s’est opposé à ce que je continue à opérer dans la magie. J’ai donc tenté ma chance au Conservatoire et à l’INSAS : ayant réussi les deux examens, j’ai eu la chance de choisir. J’ai été à l’INSAS parce qu’ils prenaient davantage en considération le physique des candidats (comment on bouge sur une scène ou dans un film) que la diction. C’est ce qui m’intéressait : le corps et la parole."

 

Il joue dans Combat de nègres et de chiens de Koltès mis en scène par Michel Dezoteux. Mais ce sont les films de fin d’études de l’INSAS et de l’IAD qui lui permettent de passer devant la caméra de rencontrer des réalisateurs comme Jaco Van Dormael. Sitôt sorti des études, il joue au Théâtre National l’un des deux personnages de l’Architecte et l’Empereur d’Assyrie d’Arrabal. Mais le déclic qui opère comme un tour de magie, c’est l’Oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar, dont la lecture l’emballe. Il découvre que le personnage de Cyprien est pour lui. Apprenant qu’André Delvaux a l’intention d’adapter le texte à l’écran, il écrit à celui-ci en lui faisant part de son désir de jouer le rôle. Claudine Thirion et Suzana Rossberg parlent à Delvaux de ce jeune comédien qui fait un malheur dans l’Architecte et l’Empereur d’Assyrie pour le plus grand bonheur des spectateurs. Il voit  Delvaux avec qui il boit le thé au lieu de subir une séance de casting. Le temps passe. Ne recevant plus de nouvelles, il fait son deuil du rôle lorsque lisant, par hasard un article du Soir où André Delvaux présente la distribution de son film, il découvre son nom voisinant ceux de Gian Maria Volonte, Sami Frey. "Je téléphone à Suzana Rossberg qui me passe André Delvaux. Je lui dis : "Monsieur Delvaux, il doit y avoir une erreur" et il me répond : " Non, non, tu fais le film". C’est ainsi que j’ai fait mon premier film qui a été une expérience extraordinaire pour un jeune comédien. J’avais douze jours de tournage rien qu’avec Gian Maria Volonte. Le film est parti à Cannes ! A 22 ans j’ai monté les marches du Palais des Festivals avec Sami Frey et Gian Maria Volonte. Comme première expérience cinématographique, on ne pouvait rêver mieux".

 

 

À Cannes, il rencontre un agent qui lui propose le rôle de MacDuff dans Macbeth de Shakespeare, pièce qu’il joue à Paris pendant six mois. C’est l’époque d’avant la décennie glorieuse de notre cinéma et les comédiens belges sont diversement appréciés dans la jungle parisienne des comédiens. Il revient à Bruxelles où les propositions au théâtre se concrétisent ; « et depuis que je suis revenu, j’ai continué à jouer dans quelques films, comme tous les comédiens belges, mais je travaille principalement au théâtre parce que là je sais que je peux jouer. Au cinéma, j’étais saturé de rendez-vous, de rencontres qui prenaient beaucoup de temps pour pas grand-chose.

Maintenant j’ai à nouveau envie de faire du cinéma. Mais il faut aller à Paris parce que là-bas il y a des agents, des séances de casting. Il est difficile de rester ici  parce que les choses se font très rapidement. Souvent quand on t’appelle c’est pour le lendemain, c’est toujours dans l’urgence. Donc, le principe d’aller retour Bruxelles-Paris-Bruxelles n’est pas évident. En plus, quand on est sur place on baigne dans le milieu, on rencontre les gens, on se parle.

Ici, rien n’est mis en place au niveau des salaires des acteurs de cinéma. En France, il y a au moins un minimum syndical. En Belgique, si cela existe pour les arts de la scène, cela n’existe pas pour le cinéma. Comme il n’y a pas d’agent, le comédien doit se battre lui-même pour son contrat, y compris en cas de litige. Et puis, il y a le manque de promotion que fait la RTBF pour les acteurs. Dites-moi quand un acteur, hormis ceux qui sont primés à Cannes, passe-t-il au Journal Télévisé ? Que font les médias et les magazines ? Et la tendance est de réduire de plus en plus les espaces réservés à la culture. Donc, lorsque le public entend parler des acteurs ou des artistes en général, ils disent : « c’est ceux qui ont des problèmes et se battent dans la rue parce qu’ils n’ont pas assez au chômage ! » Voilà l’image médiatique des artistes en Belgique. À part ceux qui sont connus et reconnus – comme Olivier Gourmet qui remporte un prix à Cannes tout en disant aux comédiens belges de tenir bon – qui d’ailleurs en remportant des prix renforcent l’image de la Belgique à l’étranger – parce qu’il faut bien reconnaître que les artistes ne sont pas que des saltimbanques, ils véhiculent l’image de leur pays, donc hormis les acteurs primés personne ne parle de nous. Comment veux-tu que le public nous connaisse. Le cercle vicieux est entamé lorsque la RTBF dit : « on ne va pas faire d’heure d’antenne, il n’y a pas d’écoute pour ça ». Alors qu’on sait qu’en France, il existe des plages horaires pour ça. L’acteur est davantage mis en valeur. Il manque à la RTBF un projet de talk show avec des comédiens, des chanteurs, avec des gars comme Claude Semal qu’on ne voit jamais et qui a pourtant beaucoup de choses à dire. Je suis convaincu qu’il ne faut pas uniquement entendre les acteurs dans leur actualité, lorsqu’ils font un film, mais aussi en créant des émissions autour et avec les comédiens et les artistes, par exemple, l’émission américaine Actor’Studio que diffuse Canal+. Il fut une époque où le public connaissait les acteurs, maintenant on ne sait plus qui ils sont. Ils sont devenus invisibles. On dirait que ce sont des charges ! »

Il y a donc, insiste Pierre Dherte, un travail essentiel de promotion à entamer pour faire connaître les acteurs, en Communauté française mais aussi à l’étranger. À Cannes pendant le Festival du film ou à Paris au Centre Wallonie-Bruxelles. L’animateur de l’ASCO, a obtenu que les comédiens soient représentés au Comité de concertation du Centre du cinéma et de l’audiovisuel. « On sent qu’il y a une volonté des pouvoirs publics de faire bouger les choses dans le secteur de l’audiovisuel, espérons que cela se concrétise. »

Textes de JMV

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