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Entrevue avec Pierre Gueulette

Publié le 01/05/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue
Entrevue avec Pierre Gueulette

C'est à l'âge de quatorze ans, en voyant le Désert vivant, un long métrage de James Algar produit par les studios Disney, que Pierre Gueulette s'emballe pour le cinéma Une passion qui ne se démentira jamais, pas plus que celle de la musique classique et du jazz dont il a une collection de vinyls à faire pâlir de jalousie quelques uns d'entre nous. Comment entrer dans le monde du cinéma, en faire un métier en Belgique lorsqu'il n'y a pas d'industrie, pas encore d'ateliers d'accueil ou de production ni d'écoles de cinéma ? Il y a bien l'IDHEC à Paris mais, après ,comment exercer son métier ? " Je cherchais une école de cinéma et la seule qui existait était l'école Jules Jourdain, Place Aneessens, qui formait des opérateurs techniques et forme à la pratique de la projection des films en salles ", nous confie Pierre Gueulette.


Les cours durent trois ans. Le hasard faisant rarement les choses à moitié, le directeur de l'établissement l'envoie en stage pratique au Movy " dont le propriétaire était sympa comme la salle, ce qui n'est pas toujours le cas, précise-t-il avec un fin sourire. La salle n'ayant pas les moyens de m'engager, j'ai travaillé quatre ans comme projectionniste au Queen's Hall Cinema, au centre de Londres. " De retour en Belgique au début des années soixante, il entre au studio Vandam KH où il travaille sur les spots publicitaires de la firme jusqu'à sa fermeture.. Le hasard continuant à faire l'enfant de bohême, le propriétaire du Movy lui propose de reprendre cette salle Art Déco ouverte en 1934 et classée en 1995, dont la capacité est de deux cents places. " Je l'ai reprise au moment du grand chambardement du cinéma, lorsque la voiture et la télévision provoquèrent une chute brutale de la fréquentation des salles qui n'a fait que se poursuivre. À l'époque, on vendait 67 millions de billets par an en Belgique alors qu'on en vend actuellement entre 17 et 19 millions. Comme partout en Europe, les films sortaient en exclusivité au centre-ville avant d'être repris par les salles dites de quartier. Malheureusement le système n'a pas évolué d'un pouce alors que les habitudes des gens évoluaient. Ceux-ci n'attendent plus six mois pour voir un film. J'aurais aimé que le Movy soit considéré comme une salle normale, comme à Paris où toutes les salles jouissent maintenant du même statut. En septante-cinq ans, rien n'a changé ici !, dit-il avec une pointe d'amertume. Lorsque j'ai repris la salle, j'ai été tenu d'honorer les contrats de mon prédécesseur, c'est-à-dire, en gros, une programmation de trente-deux films par an. Ce n'est qu'à la fin des années septante que j'ai pu programmer les films que j'aimais. Non plus les films américains " mainstream " mais ceux qui correspondaient à mon goût personnel. J'ai programmé à cette époque pas mal de films anglais dont les premiers films de James Ivory, grâce à Excelsior et à Ciné Vog que dirigeait André Weiss et qui possédait le catalogue de la Rank. C'est l'époque où la diffusion était axée sur la promotion des auteurs. Les distinctions obtenues aux festivals de Cannes, Venise ou Berlin pouvaient doper la carrière publique d'un film. Ça ne correspond pas à mon goût personnel. Je n'ai jamais fonctionné dans le film à la mode. Je mélangeais des titres d'anciens catalogues avec des films qui faisaient l'actualité. Cela me permettait de ne pas être lié au système de package, qui m'aurait obligé à sortir des films pour lesquels je n'avais aucun goût.


" Au début je ne pouvais pas - contrat oblige - prendre des films en V.O. Je n'ai pu le faire qu'en 1978, année où par ailleurs j'ai supprimé le second film, une série B italienne la plupart du temps. La salle est singulière par rapport à l'ensemble des salles subsistant en Belgique par opposition à la France, et à Paris en particulier, où il subsiste encore énormément de salles.
De 1934 à 1975, il y avait un titre différent chaque semaine. Sauf pour les salles d'exclusivité, et pour nous exceptionnellement, lorsque nous disposions de grands films comme Cléopâtre ou le Jour le plus long qui pouvaient tenir l'affiche deux ou trois semaines. Maintenant, c'est différent, je passe sept ou huit films différents sur quinze séances hebdomadaires en répétant l'opération plusieurs semaines d'affilée. Je continue à fonctionner comme ça. J'y suis obligé vu le nombre restreint de films en portefeuille, à moins de retomber dans la distribution de films commerciaux.


"En ce qui concerne le cinéma belge, le Maître de musique a fait un carton (2.775 entrées), suivi par Toto le héros qui a tenu l'affiche treize semaines. Pour le reste, les scores flanchent d'autant que les relations du Movy avec Cinélibre et Progrès Films (même du temps de Monsieur Didier Geluck) sont loin d'être au beau fixe (risquons l'euphémisme pour décrire une situation digne de la guerre froide). " Le pire des distributeurs étant Gaumont, qui vous dit, à trente centimètres du visage : on préfère garder le film dans les boîtes plutôt que de vous le donner. C'est lamentable ! " La salle ne tient pas seulement grâce à sa programmation. Elle accueille des matinées scolaires, des firmes commerciales y tournent des spots publicitaires et la RTBF l'utilise comme studio d'appoint. Quant à l'avenir de la diffusion des films de qualité, Pierre Gueulette est pessimiste " seuls le sexe et la violence attirent le public au détriment des films de qualité ". Ce qui ne l'empêche pas de préparer le septantième anniversaire de la salle, en 2004, en montant un festival de films sur le jazz (courts et longs métrages). On flashe à l'idée de pouvoir voir ou (re)voir Straight, No Chaser de Charlotte Zwerin, Jammin' the blues de Gijon Mili, Big Ben de Johan van der Keuken ou Autopsie d'un meurtre de Preminger (musique de Duke Elligton). Coming soon.